Raison d’être et responsabilisation, pour
retrouver le sens du travail…

Jean-Dominique SENARD, Président du Conseil d'Administration, Renault Group


Dans notre société fragmentée et individualisée, les grandes institutions ne parviennent plus à produire de sens collectif. Si bien que les individus reportent cette quête de sens sur les activités qui les occupent - en premier lieu, leur activité professionnelle. Mais l’entreprise est au cœur d’un paradoxe : elle bénéficie d’une perception globalement très positive de la part de l’opinion, consciente que les réponses aux grands défis de notre temps – l’environnement, la santé, l’alimentation, la mobilité- sont avant tout apportées par les entreprises. En revanche, la perception du travail est en net recul. Les dernières Assises du Travail en 2023 ont été l’occasion de mesurer à quel point la distanciation, le désengagement, et même la souffrance au travail sont devenus des enjeux prioritaires pour les Directions des Ressources humaines, les managers et les directions générales.


Finalité, contenu et qualité du travail

Si l’on considère que le sens du travail est nourri par la finalité du travail, le contenu du travail, et la qualité des conditions de travail, on mesure l’importance cruciale de deux leviers pour sortir de cette impasse : d’une part la raison d’être de l’entreprise, et d’autre part la responsabilisation. La raison d’être de l’entreprise produit du sens collectif, et nourrit à la fois la finalité et le contenu du travail, en montrant
vers quoi l’entreprise souhaite aller – son « étoile polaire », et comment elle peut
y aller. De son côté, la responsabilisation qui produit du sens individuel, enrichit le contenu et l’efficacité du travail grâce à l’autonomie octroyée, et bonifie les conditions d’exercice du travail, parce qu’elle suscite l’engagement. Intimement mêlées, la raison d’être et la responsabilisation forment une réponse
profonde aux défis actuels du travail, plus efficace que les simples « recettes managériales » qui, bien qu’utiles, demeurent insuffisantes pour créer un authentique sens du travail, et sens au travail.


Ainsi, les approches fondées sur la logique de récompense restent partielles : elles peuvent certes encourager la performance individuelle, mais ne garantissent pas la performance collective et ne créent pas de sens. Et lorsque les salariés sont réduits à des « chasseurs de prime », la dimension d’engagement collectif s’en ressent. De plus, la promesse de bien être au travail se retourne contre l’entreprise si elle est cantonnée à une injonction des ressources humaines, sans contenu ressenti par les salariés. Et même lorsque l’entreprise parvient à créer ces conditions de bien-être, elles ne savent pas pour autant produire du sens.


Les conditions de succès de la raison d’être et de la responsabilisation


Pour être efficaces, les leviers de la raison d’être et de la responsabilisation doivent respecter des conditions strictes : la raison d’être ne saurait se résumer à un simple affichage relayé dans les discours internes et externes. Si elle est désincarnée, perçue comme superficielle et théorique par les salariés et les parties prenantes, elle engendre davantage de désengagement que de cohésion.Quant à la responsabilisation, elle doit être mise en œuvre à tous les niveaux de l’entreprise, en commençant par les dirigeants et le top management, qui ont pour devoir d’incarner l’exemplarité et impulser le changement. L’encadrement intermédiaire et les managers de proximité ont également une mutation profonde à opérer : passer d’une autorité verticale – commander le matin, superviser l’après - midi et contrôler le soir –, à une mission nouvelle - déployer la vision, fixer un cap aux équipes, et développer les talents en octroyant plus d’autonomie.


Aujourd’hui, l’effet cumulé d’une raison d’être qui produit du sens collectif et fédère, et d’une responsabilisation qui produit du sens individuel et engage, devrait être déployé largement au-delà de l’entreprise. Les collaborateurs du secteur publics souffrent aussi d’un terrible déficit de sens au travail. Ainsi, à l’heure où la France doit affronter tant de vents contraires, redonner du sens au travail en bâtissant l’avenir de nos entreprises, services publics, administrations et collectivités territoriales sur la pierre angulaire du sens collectif et de la responsabilisation représente à mes yeux une ardente ambition nationale.


Jean-Dominique SENARD

Président du Conseil d'Administration, Renault Group