Interview : Le Conseil des Prud’hommes de Lyon vu de l’intérieur

David BERNARD, Vice-Président du Conseil des Prud’hommes de Lyon


David, vous êtes aujourd’hui Vice-Président du Conseil des Prud’hommes de Lyon. Quand avez-vous acquis la vocation de devenir Conseiller Prud’homal ?


Actuellement, chef d’entreprises des sociétés JOANDEL SERVICE sur Villeur-banne et DBJ Propreté sur Chambéry, avec comme unique activité l’entretien de la propreté des parties communes des immeubles, c’est en 2008 que mon an-cien patron, Monsieur Guy JOANDEL, m’a informé que je pouvais candidater pour un mandat de conseiller prud’homme Employeur. L’objectif étant de défendre les entreprises et mettre en avant le sé-rieux et l’engagement sur la responsabi-lité sociétale de ma profession liée aux métiers du secteur de la Propreté. L’an-née suivante, j’ai été élu.


En 2020, j’ai été élu Vice-Président du conseil de Prud’hommes par les conseillers du collège employeur avec le soutien de l’union patronale.
La présidence du CPH est exercée à tour de rôle par le collège salarié et le collège employeur. Lorsque le président est issu du collège employeur, le Vice-Président est issu du collège salarié et inversement. Actuellement les conseillers Prud’hommes sont nommés par le ministère suite aux dossiers établies par les organisations pro-fessionnelles pour un mandat de 4 ans.

Le conseil de Prud’hommes est une juridiction paritaire, et la seule juridiction à exercer en parité hommes-femmes. La ville de Lyon est le berceau de la prud’homie suite à la loi prononcée par Napoléon 1er en date du 18 mars 1806 pour répondre au conflit des soyeux. Notre juridiction est compétente pour régler les litiges individuels issu d’un contrat de travail de droit privé.

Pourriez-vous nous rappeler les rôles principaux d’un Conseil des Prud’hommes ?

La Première mission d’un conseiller Prud’homme est de concilier les parties. Lors de la séance de conciliation, on renoue un lien entre les parties en litige qui dans la plupart des cas se sont vexées en raison de griefs amenant à une rupture, parfois pour des incompréhensions. On les écoute, on éclaire le salarié et l’employeur sur la présentation de leurs prétentions. Ensuite, c’est aux parties de faire une proposition pour trouver une entente et éteindre leur litige. Au Conseil de Prud’hommes de Lyon nous avons concilié 11,1% des affaires pour l’année 2023 le jour de la séance de conciliation.

Suite à cette étape les parties qui ne se sont pas entendues, échangent leur conclusion, et 7,8% des dossiers en 2023 se terminent par un désistement d’instance et d’action. La réflexion du salarié et celle de l’employeur évoluent après la séance de conciliation, les conseillers ont semé une graine, par conséquent on peut évaluer l’action de la conciliation à un taux moyen de 19%.


Cette mission est très appréciée par les conseillers Prud’hommes (et j’espère pour les parties), c’est le moment de la Bienveillance et de la Compréhension du facteur Humain, cette approche nous anime et fait de notre mandat une passion. La seconde mission est d’écouter les plaidoiries, trancher les demandes des parties lors d’un délibéré (phase de débat entre 2 conseillers salariés et 2 conseillers employeurs), pour rendre un jugement en droit reposant sur des éléments probants. En cas de désaccord des 4 conseillers, le dossier est remis au juge départiteur (18% des dossiers en 2023).

Le Sénat a fait passer une réforme qui concerne directement les Conseillers. Pourriez-vous nous en dire quelques mots et selon vous les incidences que cela pourrait avoir ?

Le législateur, a décidé d’instaurer une limite d’âge à 75 ans et de limiter à cinq le nombre de mandats pouvant être exercés par les conseillers Prud’hommes sur un même Conseil. Pour le mandat de 2026 une déclaration d’intérêts sera à faire par chaque conseiller. Pas de commentaire sur la loi qui s’impose au juge. Un pincement au cœur de voir partir des conseillers expérimentés, nos rangs vont s’éclaircir et ce sera de plus en plus difficile de nommer des nouveaux conseillers. Cette loi a été promulguée suite à un amendement du Sénat. Qui, en même temps, a vu son doyen de 84 ans réélu pour un mandat de 6 ans…


Vous êtes vous-même patron d’une TPE et d’une PME. Comment cela impacte votre action lors du traitement des dossiers mais également comment votre engagement au niveau du Conseil de Lyon peut vous servir dans la gestion des relations dans vos entreprises ?

Le Conseil de Prud’hommes permet au monde du travail de se juger, puisque des juges non-professionnels provenant de tous secteurs d’activités apportent leurs connaissances et expériences des relations en entreprise, des conventions collectives applicables, des accords, etc.
En tant que conseiller il faut au préalable se garder d’être donneur de leçon, les procédures internes à mes entreprises n’obligent que moi. Lorsque l’on étudie un dossier on doit prendre du recul et seulement comparer le fonctionnement d’une entreprise au regard du droit.
En tant qu’employeur, je suis affuté sur les relations humaines et détecte rapidement les incohérences des faits plaidés, des pièces versées qui peuvent donner lieu à de la mauvaise foi. On se doit de restituer les faits au moment de la prise de décision, il est toujours facile de refaire l’histoire, mais les décisions d’un employeur se font en fonction des informations qu’il a le jour J, sur lequel gravite des obligations de délai, des obligations de résultat envers le client, des exigences économiques, et des responsabilités sur la sécurité.

Je me suis engagé sur le mandat de conseiller Prud’homme depuis 16 ans, une de mes entreprises a triplé son chiffre d’affaires et avec mon associé on en a créé une seconde. Le mandat prend du temps, mais tout est une affaire d’état d’esprit, d’organisation. Etant moins présent pour mes entreprises, j’ai davantage délégué, fait évoluer mes collaborateurs.


Finalement, ce mandat m’a rendu service pour modeler une équipe sur laquelle je peux compter, et en plus, je pars plus facilement en congés qu’auparavant.  Cette fonction de magistrat nous trans-cende, notre regard - sur nos pratiques, sur le rapport avec les syndicats, sur la justice en elle-même - est totalement différent. Pour ma part, j’ai gagné en connaissances sur le droit social, en assurance sur les procédures, en réactivité lorsque qu’un début de litige peut naître dans mes entreprises, en estimation du coût que représente une saisine au CPH.

Chaque entreprise devrait avoir un conseiller employeur au CPH, c’est une expérience incomparable et gagnant-gagnant.
Pour ceux que ce mandat intéresse, un nouveau mandat se prépare, il faut prendre contact avec son organisation patronal ou sa branche d’activité.

Avez-vous ressenti un effet direct de la réforme ‘Macron’ (modifications des modalités d’indemnisation des salariés) ?

L’effet direct a été d’être sidéré par des avocats et des juges de cours d’appel d’aller contre cette loi. Dans notre pays, la Constitution du 4 octobre 1958, texte fondateur de la Vème République définit la loi comme le texte que vote le Parlement. Les juges doivent appliquer les lois et ne pas les remettre en question !


Le barème «Macron» que nous retrouvons sous l’article L1235-3 du code du travail encadre l’indemnisation des dommages et intérêts pour les licenciements sans causes réelles et sérieuses.
En pratique, les sommes allouées lors d’une condamnation ont peu évolué, avant 2017 la majorité des décisions au Conseil des Prud’hommes sur le plan national était comprise dans cette fourchette d’indemnisation minimum et maximum.
Par contre, ce barème permet de cadrer, de guider et de rassurer le monde du travail, ce qui n’est pas un luxe vu le nombre d’obligations qui pèse sur un employeur.


Malheureusement, les avocats ont trouvé une parade pour détourner le barème, il oriente leur saisine sur une cause de licenciement nul, comme le harcèlement par exemple, ou l’ajout de multiples demandes sur la perte de chance, le licenciement vexatoire, autant de tiroirs dénués de fondement.
Les conseillers ne sont pas dupes, mais les délibérés sont par conséquent plus pesants, les rédactions des jugements plus longues. Le devoir du conseiller prud’homme est de répondre à toute les demandes et d’expliquer aux parties la décision prise pour débouter ou condamner.

Pensez-vous qu’il y a eu un avant et un après Covid 19 dans la relation au sein des entreprises ? Trouvez-vous que les conflits se durcissent ou au contraire, sont gérés plus facilement au niveau du Conseil des Prud’hommes ?

Au sein des entreprises le COVID 19 et surtout ces confinements ont amené un changement de mentalité des salariés et de pratique du travail. Les employeurs sont unanimes sur le désengagement au travail que se soit au niveau des cadres confirmés jusqu’au jeune salarié qui sort de ses études. Nous avons davantage de salariés qui changent de vie, ce qui est un droit, mais entraîne des difficultés organisationnelles en entreprise et se répercutent sur les autres collaborateurs.


De nombreuses recrues évoquent en premier le nombre de jours en télétravail avant de s’intéresser à la mission proposée. La population active veut travailler et vivre avec un nouvel équilibre, pourquoi pas, mais à ce jour l’absentéisme augmente en France, la productivité s’effondre. Ensemble, on doit se remettre en question et rapidement, nous sommes un petit pays avec une concurrence mondiale féroce. Si nous voulons conserver nos acquis, notre système de protection sociale, il faut créer des richesses d’une manière ou d’une autre. On est heureux dans notre pays, c’est regrettable que de nombreux citoyens n’en aient pas conscience, on risque fortement de connaître l’austérité. Les dossiers sur des demandes liées à l’activité partielle, aux mesures de protections, au droit de retrait ont été plaidés au CPH à un niveau marginal.

Voyez-vous dans la nature des conflits qui amène un salarié à soumettre une plainte aux Prud’hommes des différences liées au niveau socio-professionnel des salariés plaignants ou les différences se font plutôt sentir par un découpage par strate d’âges ou d’ancienneté dans le type de conflit que vous êtes amené à traiter ?

Si on prend de la hauteur sur le plan de la typologie de la population qui saisit le CPH on remarque qu’il n’y a pas une tranche d’âge ou d’ancienneté plus présente qu’une autre.


Je n’ai pas d’éléments précis sur des différences liées au niveau socio-professionnel, ma seule observation me donne l’impression que toute catégorie de la population est présente devant la juridiction dans les mêmes proportions que dans notre pays.
Cependant, lorsqu’on prend la liste des affaires à traiter en audience, la population devant nous est en majorité issue des 1ères catégories d’emploi. Je n’évoque pas ce sujet pour semer une quelconque discorde, le vivre ensemble raisonne en moi. Mais cette observation allant jusqu’à 75% des dossiers m’a interpellé depuis tant d’années que je siège au Conseil, je ne suis pas un sociologue, je m’interroge sur le besoin d’exercer ces droits en fonction des origines de chacun.

Nous avons parlé des dossiers déposés par les salariés, qu’en est-il de ceux déposés par les entreprises ? Voyez-vous également une évolution ?

A 99%, les saisines au Conseil de Prud’hommes sont réalisées par des salariés à l’encontre de leur employeur. Nous avons une poignée de dossiers initiée par les entreprises sur des sujets de respect du préavis, sur le respect du contrat de travail lorsque le salarié a reçu une formation importante et s’est engagé à poursuivre sa relation de travail. Nous avons tous des Droits, n’oublions pas que nous avons également tous des devoirs.

Propos recueillis par Olivier CHAMPAGNE, membre du Comité Magazine du Centre des Professions Financières, Fondateur de Straper.

David BERNARD

Vice-Président du Conseil des Prud’hommes de Lyon