Anne-Audrey CLAUDE, Directrice Générale de Dialocratie, Présidente du Club des Jeunes Financiers
L’accord d’intéressement est un accord d’entreprise qui définit un mode de rémunération variable collectif mis en place en 1959. Au fil des réformes, des assouplissements notamment en termes fiscaux et sociaux, il a gagné en accessibilité au sein des entreprises. Il s’impose désormais comme un élément clé de la politique salariale. Depuis, l’accord d’intéressement devient un levier stratégique pour une rémunération responsable.
La loi sur le pouvoir d’achat d’août 2022 a apporté une innovation majeure, permettant aux entreprises de moins de 50 salariés de mettre en place un accord d’intéressement par décision unilatérale de l’employeur.
Dans cette dynamique, la prime de partage de la valeur1 peut être assimilée dans un accord de participation ou d’intéressement pour bénéficier d’une exonération fiscale, dans la limite de 6 000
euros. Plus souple que la participation, l’intéressement reste l’outil privilégié par de nombreuses entreprises.
L’efficacité de l’accord d’intéressement est indéniable dans le cadre d’une politique de rémunération incitative. Il permet aux salariés de bénéficier d’un complément de revenu en fonction de la performance de leur entreprise. D’après une étude menée par OpinionWay en 2023, la rémunération est le premier facteur de motivation pour les salariés, constituant pour 60 % des interrogés leur sentiment de reconnaissance au travail. En outre, 32 % des salariés considèrent que l’intéressement, la participation et l’épargne salariale constituent un critère important d’attractivité de l’entreprise.
L’accord d’intéressement se distingue par son lien direct avec la performance économique de l’entreprise, mesurée par des indicateurs financiers tels que l’EBIT (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization - en français, résultat avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements) ou l’EBITDA (Earnings Before Interest and Taxes - en français, résultat avant intérêts et impôts), mais aussi par des critères qualitatifs. Ces derniers peuvent porter sur la qualité des produits ou des services, les conditions de travail ou encore des enjeux stratégiques à pérenniser dans le temps, comme la transformation numérique ou environnementale.
Aujourd’hui, la question de la responsabilité prend une place grandissante dans les politiques d’entreprise. Sous l’impulsion des enjeux de développement durable, des attentes croissantes des salariés pour des entreprises plus engagées, ou encore des évolutions réglementaires, l’intéressement devient un levier pour intégrer cette dimension dans la rémunération.
Comment définir la notion de responsabilité dans ce contexte ? Il s’agit de l’aptitude pour les entreprises à tenir compte des aspects sociaux et sociétaux contenu par les objectifs de réduction de consommation carbone dans leurs activités économiques.
L’accord d’intéressement responsable (AIR) offre une nouvelle perspective où coexistent la profitabilité, la responsabilité et la durabilité. Il permet d’aligner les intérêts économiques de l’entreprise avec des objectifs environnementaux et sociétaux, créant ainsi un cadre gagnantgagnant pour toutes les parties prenantes.
En phase de transformation structurelle, l’accord d’intéressement responsable peut composer un des éléments déterminant d’un plan stratégique. De cette manière, l’entreprise associe, par la rétribution collective, les collaborateurs à la performance économique, dans une optique de durabilité du modèle économique. En effet, le collectif est ainsi embarqué dans la maîtrise de la consommation en carbone (par exemple : optimisations des kilomètres parcourus).
La loi Pacte du 22 mai 2019 (n° 2019-486)2 a encouragé les entreprises à intégrer des critères extra-financiers dans leurs accords d’intéressement, notamment en matière de pollution, d’économie circulaire, d’utilisation durable des ressources ou encore d’engagements sociétaux. En pratique, il existe une multitude d’indicateurs sociaux et
environnementaux pouvant être pris en compte. Il revient aux entreprises de sélectionner des critères pertinents, adaptés à leur secteur d’activité, et dont le suivi est clair et mesurable.
En outre, il est pertinent d’intégrer un critère relatif à la transformation entreprise, permettant de mettre l’accent sur la prise en compte de l’acceptation du changement par le collectif.
La stratégie 2024-2027 “ensemble performant solidaire” du Crédit Mutuel Alliance Fédérale est un exemple frappant. Ce plan vise à “accroître sa performance pour mener la révolution environnementale et “sociétale” vers une décarbonisation de l’économie. Cette transformation impose des changements dans les pratiques financières en intégrant le volet ESG ce qui amène à plus d’exigence vis-à-vis des clients émetteurs, de l'investissement dans le recours à l’IA pour soutenir la productivité et des pratiques métiers.
Dans son accord d’intéressement, la fédération du Crédit Mutuel souligne également l’importance de l’accompagnement des collaborateurs dans la transition écologique. Elle prévoit d’attribuer 40% des critères ESG (sur une enveloppe de 1% dédiée à cet objet) au “taux de formation des salariés sur les enjeux environnementaux”.
L’introduction d’un accord d’intéressement responsable, corrélé aux objectifs ESG de l’entreprise, marque un engagement fort en faveur d’une politique de rémunération transparente et inclusive. Selon un sondage réalisé par l’IFOP pour Novethic, 69 % des salariés français souhaitent que leur entreprise s’implique davantage dans la lutte contre le réchauffement climatique. Certes ces critères sont encore marginaux dans la constitution des primes d’intéressement mais ils présentent plusieurs avantages :
d’apporter de la transparence sur la transition écologique - parfois accompagné de changement de modèle économique - menée par l’entreprise,
de mettre l’accent sur la corrélation entre la profitabilité et l’extra-financier,
de renforcer la confiance entre la tête dirigeante et les équipes opérationnelles,
de favoriser l’atteinte des objectifs, ce qui peut bonifier la prime d’intéressement.
Enfin la présentation annuelle de l’enveloppe d’intéressement est un temps de sensibilisation des salariés sur les explications des résultats obtenus notamment en matière de RSE grâce à l’engagement collectif, contribuant à la culture d’entreprise axé sur la responsabilité et ses ambitions de durabilité. Dans un contexte de trans-formation économique et environnemen-tale, l’accord d’intéressement responsable s’impose comme un outil incontournable pour allier performance financière et res-ponsabilité sociale.
Anne-Audrey CLAUDE
Directrice Générale de Dialocratie, Présidente du Club des Jeunes Financiers