Pour le monde salarié la crise pandémique a induit en quelques heures un bouleversement des organisations et des relations de travail dans le monde entier. Beaucoup a été dit, souhaité ou décrété sur les changements au travail et quatre années plus tard, il nous paraît utile de revenir sur trois des éléments les plus évoqués ces dernières années.
Sarah PROUST, Experte associée de la Fondation Jean Jaurès Fondatrice de la société de conseil Selkis
Le bureau résiste mais les espaces de travail se transforment
Le bureau comme lieu de travail est-il encore utile ? Cette question, impensable il y a quelques années, est apparue lorsque les salariés du tertiaire ont constaté que travailler de chez eux était possible (facile ou souhaitable est un autre sujet). Rapidement, beaucoup de commentateurs en ont conclu à la fin du bureau, déjà renvoyé au vieux monde. Mais ce que montrent de nombreuses enquêtes c’est que si le bureau se transforme, il reste encore un lieu privilégié du travail.
En effet, dans notre enquête1 menée avec la Fondation Jean Jaurès, la société Selkis et la Fondation Friedrich Ebert dans 6 pays européens (France, Allemagne, Espagne, Finlande, Suède et Pologne), auprès de 6 000 salariés, 71 % d’entre eux affirment que le bureau comme espace de travail a été durablement transformé depuis le Covid et 73 % souhaitent pour l’avenir travailler au moins la moitié du temps au bureau.
Une récente enquête britannique2 montre que les Londoniens sont les salariés qui sont le moins retournés au bureau, à l’inverse les Français sont ceux qui télétravaillent le moins. L’ensemble des enquêtes comme nos entretiens avec des salariés du monde entier l’attestent : le bureau doit se transformer pour accueillir toutes les modalités du travail et il reste plébiscité par les salariés. Plus il sera en phase avec sa fonction première, c’est-à-dire capable de permettre aux salariés de travailler seuls, à plusieurs, en réunion, de bénéficier d’espaces pour socialiser et
renforcer les relations managériales, plus le bureau aura du sens et sera attractif.
Le télétravail s’installe durablement mais ne se substitue pas au travail au bureau
Comment faire revenir les salariés au bureau ? Cette interrogation lancinante demeure importante dans certaines entreprises, mais elle a davantage été une crainte qu’une réalité. Et pour cause, les salariés trouvent au bureau des choses qu’ils n’ont pas à domicile (puisque c’est là que se pratique le télétravail et non dans des espaces de coworking et autres tiers lieux). L’enquête britannique précédemment citée montre que dans les six villes concernées par le sondage (Londres, Paris, Singapour, Sidney, New-York et Toronto), les trois items les plus cités quant aux bénéfices qu’offre le bureau sont les relations et des collaborations plus fortes avec les collègues, une capacité à apprendre de ses pairs et une facilité plus grande à manager.
De manière constante dans les enquêtes et les entretiens, les salariés considèrent le télétravail bénéfique (à titre professionnel et personnel) mais la majorité d’entre eux ne souhaitent pas augmenter sa pratique à plus d’un tiers ou à plus de la moitié du temps. Ainsi, partout dans le monde, le télétravail s’installe durablement, il est même considéré comme une avancée sociale par 75 % des salariés sondés dans notre enquête européenne, mais il n’est pas considéré comme une pratique à développer davantage.
Les jeunes cherchent du sens au travail mais … les autres aussi
Les jeunes ont-ils un rapport différent au travail ? Questionnement régulier dans les entreprises qui relève en réalité plus d’une question sur les évolutions de la société que sur l’émergence d’une génération spontanée. En effet, les jeunes, comme toutes les générations, aujourd’hui et de manière constante, affirment que ce qu’ils attendent d’un emploi c’est d’être bien rémunérés (43 % d’entre eux dans l’enquête sur les jeunes et l’entreprise menée par la Fondation Jean Jaurès et la MACIF3). Viennent ensuite le fait d’avoir un poste qui permet d’avoir du temps libre pour leur vie personnelle (35 % en hausse par rapport aux années précédentes : 30 %), le fait d’avoir une activité́ intéressante (29 %) et être utile (24 %).
Parce que la société change, les plus jeunes sont davantage imprégnés par les évolutions que les populations plus âgées. Si les jeunes ont des aspirations nouvelles c’est bien parce qu’elles traversent la société. Mais ce qui ne change pas c’est qu’en France, le travail reste considéré comme central dans la vie des salariés et que si un meilleur équilibre entre les vie privée et professionnelle est souhaité (par les jeunes et les autres), cela ne s’accompagne pas d’un désengagement à l’égard du travail et des attentes que les salariés ont à son égard.
Cette épreuve mondiale qu’a été la pandémie du Covid-19 a eu comme conséquence dans le monde du travail que des questions inédites se sont posées (le rapport au lieu de travail, la place du travail, le lien entre distance au lieu de travail et distanciation au travail) et les entreprises cherchent aujourd’hui à trouver le bon équilibre entre attentes des salariés, performance de l’entreprise et anticipation des évolutions à venir. Ce travail gigantesque et passionnant demande du temps et des expressions internes aux entreprises, dès lors, engageons ces chantiers et prenons le temps de parler du travail !
Sarah PROUST
Experte associée de la Fondation Jean Jaurès Fondatrice de la société de conseil Selkis