Synthèse opérationnelle
« Certes, on finit par devenir trop vieux pour travailler, mais avant, on demeure jeune de plus en plus longtemps ». Ce constat sous forme de boutade pourrait orienter les mesures à envisager pour rendre le marché du travail plus hospitalier pour les seniors en France.
En s’appuyant sur des comparaisons internationales et sur des constats terrain, les échanges des Forums Mac Mahon ont en effet fait émerger plusieurs problématiques relatives à l’employabilité des seniors et ont tenté d’esquisser des propositions pour y remédier.
Comparaisons internationales
Le constat chiffré sur la base de données INSEE, Eurostat et OCDE fait ressortir une situation atypique des plus de 60 ans en France au sein de l’OCDE ou de l’Union européenne.
Le taux d’emploi des 60-64 ans en France en 2019 est tout au bas de l’échelle avec 32.7%, à comparer à 46% pour la moyenne de l’Union européenne, un peu plus de 60% pour l’Allemagne et les Pays-Bas et 70% pour le Japon et la Suède.
L’espérance de vie à la sortie du marché du travail est en France de 25 ans, femmes et hommes confondus, la plus élevée de tous les pays de l’OCDE, dont la moyenne se situe à 20 ans (niveau constaté en Allemagne et au Royaume Uni). Ceci s’explique par un âge de départ à la retraite (un peu plus de 62 ans) inférieur à celui de la plupart des autres pays (un peu plus de 65 ans en moyenne dans les pays de l’OCDE), et par une espérance de vie parmi les plus élevées au monde, proche de celle au Japon.
Le revenu des retraités en France est supérieur (103%) au revenu moyen des Français, en seconde place du classement derrière les Luxembourgeois et le taux de pauvreté des plus de 65 ans en France est, de loin, le plus faible par rapport aux autres pays de l’OCDE.
Cette situation favorable relativement à celle des autres pays est-elle soutenable ? Le doute est permis quand une érosion progressive du pouvoir d’achat des retraités est constatée depuis une dizaine d’années et quand le niveau des prélèvements obligatoires pesant sur les actifs, l’un des plus élevés de l’OCDE, conduit à l’expression d’un ras le bol fiscal et à un ressenti croissant d’insuffisance du pouvoir d’achat.
La durée du travail annuelle rapportée à la population totale est de 634 heures en France, à comparer à 709 heures en Espagne, 713 heures en Italie, 729 heures en Allemagne, 752 heures pour la moyenne européenne et 830 heures pour les USA.
Constats terrain
Les données mentionnées supra conduisent à considérer que les seniors sont un facteur significatif dans cette insuffisance de travail effectué. Aussi, le besoin de travailler davantage pour les seniors semble inéluctable, ne seraitce que pour assurer le financement du maintien du système de retraite, généreux comparé à celui des autres pays, et qui pèse 14% du PIB à comparer à 8% en moyenne dans l’OCDE.
Cependant, l’envie des seniors y est-elle, alors même que le marché du travail ne leur apparaît pas hospitalier ? Les seniors sont en effet souvent poussés hors de l’entreprise lorsqu’ils avancent en âge et ont de réelles difficultés à revenir sur le marché du travail.
Les réductions des coûts salariaux dans les entreprises se font prioritairement sur les seniors, pour de multiples raisons : outre qu’ils coûtent généralement plus cher, qu’ils sont peut-être plus difficiles à manager, ils sont les plus disposés à accepter les plans de départs volontaires, prenant en compte pour certains la pénibilité de leurs activités, pour d’autres l’obsolescence de leur formation initiale et le décalage de leur technicité par rapport aux nouveaux standards… Mais ce départ des seniors se traduit aussi par des pertes importantes de savoir-faire dont l’impact est trop souvent sous-estimé par les entreprises.
La problématique du travail des seniors semble aussi avoir un fondement culturel ou sociétal en France : les remarques généralement adressées aux seniors visent à leur conseiller d’arrêter de travailler dès qu’ils le peuvent pour profiter de leur retraite, contrepartie des cotisations qu’ils ont versées toute leur vie, voire même d’anticiper leur départ pour profiter des règles en vigueur avant qu’elles ne soient durcies. Sous la pression sociale, le senior peut même avoir mauvaise conscience à continuer à travailler, croyant priver un jeune d’emploi.
A contrario, il est souvent évoqué qu’avec une espérance de vie croissante, il serait normal de travailler plus longtemps. Cependant, l’accent mis de plus en plus sur la notion d’espérance de vie en bonne santé tend à nuancer ce propos. Ce qui pourrait conduire à mener en parallèle l’aménagement des fins de carrière et leur allongement.
Le télétravail a été perçu comme bénéficiant de davantage d’appétence de la part des seniors que des jeunes ; sans doute parce qu’ils sont mieux logés, n’ont plus de contraintes d’enfants en bas âge et ont probablement moins besoin de constituer un réseau dans et hors de l’entreprise. Partant de ces constats, des pistes de solutions ont été esquissées pour rendre le marché du travail plus inclusif pour les seniors.
Solutions esquissées
Parmi les solutions qui peuvent relever des seniors pour améliorer leur employabilité, il y a impérativement la mise à niveau de leurs compétences par une volonté de formation, ainsi que l’adaptation indispensable au monde digital. En outre, les seniors intéressés à poursuivre leur carrière doivent manifester une réelle envie personnelle, une attitude volontariste dynamique. Enfin, il conviendrait de répondre à une légitime motivation financière, par exemple en trouvant une contrepartie à la réduction de la durée de la retraite dont le montant pourrait être majoré à proportion du raccourcissement de sa durée.
De la part des entreprises, on peut attendre un effort d’offres de formation pour assurer le maintien des compétences, davantage de propositions de flexibilité du temps de travail et le développement des départs en biseaux. Une attention particulière pourrait être apportée aux cadres comme l’appui sur leur savoir-faire d’expérience avec des responsabilités d’encadrement, de tutorat et de mentoring. Pourraient également être développés des détachements auprès de start-up, de fondations…
Quant aux pouvoirs publics, ils pourraient afficher une cible pour la liquidation des droits à la retraite (67 ans à terme pour rattraper les 5 ans de différentiel d’espérance de vie à la retraite des Français par rapport à la moyenne de l’OCDE), alléger les cotisations sur l’activité des retraités, redonner des droits à la retraite pour le travail effectué après liquidation, donner la possibilité d’avoir des courbes de rémunération en cloche avec un socle non réductible et une part variable non consolidable liée aux fonctions, élargir le recours au télétravail et en faciliter les modes de rémunération liées davantage au service rendu qu’au temps passé.
Rainier BRUNET-GUILLY, Régis de LAROULLIÈRE et Denis KLEIBER, Co-organisateurs des Forums Mac Mahon