Cécile DEMAN-ENEL, Directrice des Ressources Humaines du Groupe Allianz Trade
Développer des relations performantes au travail, c’est l’objectif et le casse-tête de toute organisation dans un contexte percuté par l’intégration des nouvelles technologies dans le poste de travail, la flexibilisation du cadre et des attentes au travail et les répercussions d’une actualité anxiogène sur le quotidien des salariés qui sont à la fois des acteurs de l’entreprise, des citoyens et des personnes avec leurs valeurs et leur engagement personnels et familiaux. Les injonctions n’ont jamais été aussi nombreuses et souvent paradoxales ! Créer une relation au travail satisfaisante et performante apparait d’une grande complexité pour les leaders et parfois décourageante pour les salariés. Alors comment créer les conditions de la performance et de la confiance dans un cadre de travail aussi mouvant ? Quels principes et facteurs clés de succès peuvent nous guider ?
Le besoin de contrôle des organisations dans ce contexte incertain se renforce avec l’omniprésence de la data, la recherche de compétitivité et la nécessité de sécuriser les performances et résultats financiers futurs. Les politiques RH d’entreprise s’adaptent massivement aujourd’hui avec un angle très data edigital avec le risque de favoriser des approches top-down et subies par les collaborateurs. Or, partir du point de vue des acteurs dans l’entreprise est indispensable – c’est le facteur de succès. La psychologie du travail1 nous apprend qu’il y a 3 facteurs pour développer une relation positive au travail :
Développer des relations performantes au travail nécessite d’adresser ces 3 facteurs dans le paradigme et avec les outils disponibles aujourd’hui. Quelle importance donnons-nous à l’activité de nos collaborateurs dans le contexte de la transformation numérique ? Les salariés voient concrètement des tâches ou missions se transformer voire disparaitre avec l’automatisation, l’arrivée des chatbots et de l’Intelligence Artificielle. Cette réalité est amplifiée par le discours alarmiste des médias2. Il s’agit de comprendre et d’accepter que son rôle dans la chaine de valeur va évoluer rapidement avec l’accélération des technologies, des usages des clients et de la concurrence. Les acteurs commencent à mesurer l’ampleur de la transformation et demandent à voir le chemin qui sera le leur. Faute de quoi, le risque de désengagement et de perte de sens se fait sentir. Réciproquement, les organisations ont besoin des acteurs pour faire évoluer les processus sans rupture grâce à leur connaissance métier et à leur engagement.
Le 1er challenge est de construire la confiance et l’environnement qui permet d’évoluer en intégrant positivement l’impact des nouvelles technologies, protégeant ainsi l’organisation et les salariés qui évoluent avec leur métier. Il s’agit de relancer une approche très inclusive et transparente de gestion prévisionnelle des métiers et des compétences en associant plus que jamais les collaborateurs pour valoriser l’importance de leur travail aujourd’hui et le projeter dans la réalité de ce qu’il sera demain. Comment développer les compétences au même rythme que les évolutions technologiques ? En quelques années, le poste de travail d’un collaborateur dans le secteur des services s’est radicalement transformé. Les nouvelles versions des logiciels contiennent toujours plus de fonctionnalités qu’il faut intégrer à chaque nouvelle version avec un gain de performance et d’autonomie incontestable. Les outils sont toujours plus nombreux d’où la nécessité de jongler et d’apprendre à concilier des sources et quantités d’information multiples (mails, Teams, Webex, Téléphone, réseaux sociaux d’entreprise, textos pour ne citer que les plus connus). Hiérarchiser et prioriser deviennent des compétences nécessaires ainsi que des tâches à part entière pour développer son autonomie et organiser son travail. Les managers sont appelés à devenir des coachs qui guident, donnent du sens et des perspectives, délivrent et reçoivent du feedback et accompagnent la transformation et l’apprentissage. Le 2nd challenge est d’assurer une montée en compétences permanente des collaborateurs et des managers en évitant la fatigue ‘transformationnelle’. Concrètement, il est indispensable d’intégrer les formations dans le temps de travail et d’en garantir la pertinence, l’attractivité et l’impact tant sur les dimensions techniques que sur le leadership. Les équipes RH travaillent aujourd’hui sur une offre de formation qui conjugue des formats cléen-main et facilement accessibles tout en personnalisant les parcours des formations des acteurs en fonction de leur métier et séniorité. Reste à offrir suffisamment de marge de manœuvre pour que les acteurs s’y engagent pleinement et que les managers accompagnent et valorisent les compétences acquises.
Enfin, comment bâtir les relations au travail au sein de l’entreprise dans un cadre de travail de plus en plus flexible ? L’expérience traumatisante du confinement a déplacé le poste de travail dans la sphère privée pour tous les métiers dont les tâches se réalisent via les outils informatiques et de communication. La très grande majorité des employés du tertiaire organise leur travail entre domicile, bureau et parfois lieux de villégiature. L’épisode de cet été, avec les JO comme amplificateur du télétravail, est assez symptomatique. Le travail depuis les lieux de vacances s’est normalisé, et le retour au bureau est devenu un moment de retrouvailles – les termes ‘Tracances’ et Vatrail3 illustrent bien la porosité entre vie professionnelle et vie personnelle. Plus que jamais, l’expérience collaborateur et les moments de vérités tels que les parcours d’intégration, les réunions & séminaires d’équipes ou encore les entretiens individuels, font la différence dans la qualité du tissu relationnel des organisations
Le 3ème challenge est de donner aux acteurs la responsabilité et le loisir de créer des liens puissants entre eux jusque dans la manière de travailler au quotidien. Ainsi les modèles de travail cellulaire (dont font partie les modèles agiles qui se déploient depuis quelques années) favorisent les interactions directes et le travail en équipe pluridisciplinaire. Ils montrent un réel potentiel pour construire des relations performantes au travail et assurer une adaptation et une résilience plus rapides des acteurs. Ils ont en outre un effet positif sur le développement des compétences et la reconnaissance de l’importance du travail et de l’autonomie de chacun4
En synthèse, les relations au travail sont un chantier en construction pleinement lié à l’ère numérique. Pour bâtir une relation au travail stimulante, il est indispensable de construire les métiers et compétences de demain avec les acteurs et de créer un environnement de travail qui développe les liens et les marges de manœuvre des équipes. Ce virage est d’autant plus essentiel que les alertes relatives à la santé mentale au travail augmentent5. Pour cela, les leaders et les managers ont besoin de renforcer leur écoute, leur capacité à dialoguer et à accompagner les projets et la transformation des modes de travail. Enfin, la fonction RH devient un partenaire stratégique des organisations grâce à la modernisation des outils de gestion des compétences et des métiers et à son rôle dans le renforcement du dialogue et des collectifs qui permettent d’avancer ensemble.
1. Référence aux travaux et échanges avec Marc-Eric BOBILLIER CHAUMON, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire de Psychologie du travail
2. Harvard Business Review, Hors Serie mai-juin 2024
3. « Après les « tracances », si vous vous mettiez au « vatrail » ? Guillemette Faure Le Monde 25/08/2024
4. Référence aux travaux et échanges avec Eric Delavallée, Sociologue, « S’inspirer du vivant pour organiser l’entreprise » paru aux éditions De Boeck en 2022.
5. « L’impact économique du déclin de la santé mentale sur les entreprises francaises ne peut plus être ignoré », Tribune de Marc Laidet, Président de la Fédération hospitalière privée Psy, Le Monde 8/08/2024
Cécile DEMAN-ENEL
Directrice des Ressources Humaines du Groupe Allianz Trade