François-Xavier ALBOUY, Economiste spécialiste de l’assurance, de la protection sociale et du vieillissement.
Il collabore avec le Club Landoy et l’International Longevity Center.
Parmi toutes les politiques et pratiques du vieillissement à mettre en œuvre, la plus essentielle est celle d’une adaptation des entreprises dans deux domaines qui sont la productivité et la gestion des ressources humaines. La productivité demande d’augmenter le travail efficace par poste de travail, ce qui demande des investissements donc de l’épargne investie en actions et de tenir compte des impératifs liés au vieillissement des parents (dépendance). La gestion des ressources humaines demande une révolution culturelle sur ce que sont les réalités de l’âge et des politiques différenciées d’aménagement des postes de travail et des horaires, de formation à tous les âges et de mobilité et de recrutement des plus de 55 ans et une implication des seniors qui le souhaitent après 65 ans.
En France, les personnes encore en activité à 65 ans et plus sont de 4,4% pour les hommes (10% en Allemagne, 8% dans l’UE ou 18,2% en Irlande, par exemple) et de 2,8% pour les femmes. La perception de la vieillesse évolue dans le temps, aujourd’hui et d’après une étude de l’American Psychological Association, basée sur des enquêtes longitudinales allemandes, à 65 ans on considère que l’entrée dans la vieillesse se fait à 74 ans, par ailleurs dix ans plus tard, à 74 ans on considère que l’entrée dans la vieillesse ne commence qu’après 77 ans… Bref, la vieillesse, c’est toujours demain. Cette évolution des mentalités individuelles est une chance pour l’économie, elle permet d’imaginer au-delà de la retraite une période d’activité d’une dizaine d’années. Du point de vue de la santé publique, elle est aussi une chance pour les seniors, rester actif après 65 ans permet de retarder l’entrée dans la dépendance de 4,7 ans. Il faut une activité légèrement contraignante, altruiste et permettant de développer des contacts.
Des retraités encore jeunes, expérimentés et qui ont devant eux dix, quinze ou vingt ans d’engagement potentiel dans des activités diverses, comment ne pas mobiliser ce potentiel ? Comment valoriser leurs contributions à la vie associative et collective ? Quelles formes imaginer pour ces suppléments de vie qui sont apportés par la longévité ? Il faut d’abord casser l’idée que la retraite est un retrait de la vie sociale et collective.
Plusieurs domaines ont besoin d’un engagement des seniors, anciens cadres des entreprises, parce qu’ils sont expérimentés et compétents. Ces domaines sont, par exemple :
e commerce extérieur,
La reprise des entreprises,
Le financement de projet,
La direction de projets complexes,
L’introduction des entreprises sur le marché financier...
Dans tous ces domaines, on constate un écart entre les besoins des PME qui sont criants et leurs capacités à mobiliser des compétences, pour des problèmes de coûts et de gouvernance. Souvent, les besoins des entreprises sont ponctuels et ne peuvent déboucher sur l’emploi à plein temps d’un spécialiste.
Par exemple, la reprise ou transmission des entreprises va devenir un sujet en France, comme il l’est déjà en Italie et en Allemagne. La difficulté réside dans l’impossibilité de céder des entreprises, parce qu’il n’y a pas de repreneurs. La peur du risque et les contraintes administratives freinent les jeunes et en particulier les jeunes diplômés qui préfèrent un emploi stable de salariés. Il y a peut-être un mouvement à organiser qui permettrait à des seniors de reprendre des entreprises, de les consolider, de les aider à se développer et de se donner 10 ans pour les transmettre à des entrepreneurs plus jeunes.
Les retraités cadres disposent de revenus relativement importants de retraite. Ils peuvent donc offrir leurs compétences sur la base d’un intéressement.
Autre exemple, une PME ne peut pas se permettre d’envoyer des commerciaux dans des salons à l’étranger, amorcer des relations commerciales qui seront peut-être très rentables demain, mais qui aujourd’hui sont trop chères. Elles peuvent par contre considérer d’envoyer des seniors qui sont moins chers parce que déjà pensionnés et, par exemple, les intéresser au résultat. Ces seniors ne pourront fournir tous les services nécessaires à une relation commerciale à l’étranger, mais ils peuvent amorcer la pompe et aider l’entreprise à se mobiliser. Ici, le frein culturel est le plus important, la peur de partir à l’aventure d’une part et la certitude que nos coûts de production sont trop élevés pour intéresser des marchés étrangers. Vaincre ces deux résistances est possible. On peut aider des seniors qui ne viennent pas du même secteur à se mobiliser pour une entreprise à l’étranger avec des formations très courtes et efficaces. On peut aussi rappeler que si nos coûts de production sont élevés, nos produits dans tous les domaines, de la tech à l’agriculture ont des avantages comparatifs qui intéressent des clients étrangers. La Suisse, on le sait, a des coûts de production élevés, ce qui ne l’empêche pas d’exporter avec talent, sur tous les marchés du monde.
Ce qui est vrai pour l’exportation et les marchés européens et autres à conquérir l’est aussi dans d’autres domaines où de nombreux cadres ont des expériences précieuses qui sont perdues avec leur départ en retraite.
L’accès à des financements bancaires complexes, l’accès aux marchés financiers ou l’entrée en bourse, la connaissance des places financières étrangères, la conduite de projets complexes : réindustrialiser veut dire ouvrir de nouveaux sites de production, ce qui demande une maîtrise de la conduite de projet qui n’est pas toujours disponible en interne et coûte très cher en missions de conseil mais des seniors peuvent pour des périodes courtes assumer cette gestion de projet, pour des rémunérations plus faibles que des actifs et avec un intéressement adapté.
Certes, aujourd’hui, bon nombre de cadres supérieurs retraités et beaucoup de professions libérales effectuent des missions de conseil. Pour autant, ils ne le font que dans le cercle étroit de leurs anciennes relations professionnelles et ne rencontrent pas nécessairement les besoins réels des entreprises et surtout ceux des PME. Imaginer des démarches plus systématiques permettant à ces retraités de rencontrer le tissu des entreprises de leurs régions via des chambres de commerce, des centres de formation ou des organismes de promotion des investissements est probablement un besoin important pour l’économie. Adapter l’entreprise à l’expertise des seniors et l’organiser comme un complément des talents et non pas une concurrence des plus jeunes est un autre besoin. Créer de l’enthousiasme autour de cette idée est aussi un besoin impérieux, on ne mobilisera pas les talents en agissant seulement par la coercition (recul de l’âge de la retraite) ou par un impôt plus élevé des « fortes retraites ».
François-Xavier ALBOUY
Economiste spécialiste de l’assurance, de la protection sociale et du vieillissement.
Il collabore avec le Club Landoy et l’International Longevity Center.