Ingrid NAPPI, Economiste, Spécialiste Ville durable, Immobilier et Espaces de travail
Professeur HDR de l’École nationale des ponts et chaussées
Titulaire de la Chaire Économie de la Transition écologique urbaine (Immobilier, Logement, Architecture, Aménagement) à l’Institut Louis Bachelier
Cinquième ressource de l’entreprise représentant le second poste de dépenses après les salaires, le bureau constitue un véritable outil de management et de performance pour les organisations en quête de responsabilité sociétale et environnementale. Les espaces de travail sont aujourd’hui reconnus indiscutablement comme un élément participant à l’attractivité des salariés, des collaborateurs ainsi que des jeunes talents. De la valeur financière du bureau, on est aujourd’hui passé à l’ère de la valeur d’usage1 .
La crise sanitaire et la Covid ont en effet bouleversé sensiblement les modes de travail et les environnements de travail dans l’entreprise. Mais aussi la prérogative du management des espaces de travail dans l’entreprise : d’une solution immobilière aux questions organisationnelles et financières de l’entreprise, l’espace commence à devenir une des prérogatives de la gestion des personnes. L’immobilier consiste à penser les tâches au travail, à la fois les besoins, le bien-être et les particularités et attentes des personnes qui l’effectuent.
Après avoir posé dans un premier temps le sujet de la disparition du bureau, la crise sanitaire de 2020 et la contrainte du télétravail forcé et subi ont clairement depuis posé la question de la réinvention du bureau. Mais celui-ci se réinvente-t-il vraiment ? Les bâtiments et les espaces de l’entreprise ont toujours constitué la vitrine du savoir-faire et de la culture des organisations, un véritable outil de communication envers toutes les parties prenantes, à savoir les actionnaires, les clients, les investisseurs, les fournisseurs et les salariés, que ce soit par la hauteur des tours, la signature architecturale du bâti ou plus récemment, par la qualité architecturale des espaces de travail intérieurs et de leur ameublement. De l’open space, en passant par les espaces de coworking puis au corpoworking dans des tiers-lieux puis au Flex office, l’espace de travail devrait - on l’espère - à l’avenir refléter davantage les besoins de leurs occupants2 .
Et pourtant le télétravail a bouleversé sensiblement les environnements de travail dans l’entreprise : la combinaison du flex et du télétravail, ce que l’on appelle le poste de travail « hybride », devient la solution idéale pour diminuer la dépense immobilière. En permettant de réduire sensiblement la surface allouée au collaborateur, il devient une solution idéale pour diminuer les surfaces louées par les entreprises, allégeant ainsi la facture immobilière qui s’était considérablement alourdie en vingt ans.
Ce qui apparaît comme la solution idéale à l’équation entre retour au bureau et encadrement du télétravail se heurte malgré tout à un défaut de popularité auprès des salariés : seuls 5 % des salariés considèrent le flex comme le bureau correspondant à leurs besoins, loin derrière les autres formes de bureau. Alors que les cadres, attirés par les fonctions sociales du lieu de travail, plébiscitent le flex et considèrent le bureau en entreprise comme un lieu de sociabilisation et d’animation du lien entre les collaborateurs, à l’inverse, les employés, mais aussi les plus jeunes, notamment ceux dont le logement est bien trop souvent inadapté au télétravail et qui ont besoin d’un lieu de ressources matérielles et de concentration, sont significativement portés davantage sur le bureau attitré
L’avenir nous le dira. Je reste convaincue par les remarques de Rachel Bocher4, médecin-psychiatre et spécialiste de la santé mentale au bureau, pour qui les trois éléments indissociables à la bonne santé mentale au travail, et implicitement de son corollaire économique à la productivité du travail, sont l’Espace, le Temps et le Silence. Trois dimensions difficilement compatibles avec le couple télétravail et Flex office qui en font encore trop souvent l’impasse
1/ Ingrid Nappi, Révolutions de bureaux, Pc Éditions, 2019.
2/ Ingrid Nappi, « Le Flex et le bureau hybride, une histoire en devenir », in A distance, La révolution du télétravail, PUF, 2023.
3/ Ingrid Nappi, « L’envers des mots » : Flex office, septembre 2023, The Conversation.
4/ Rachel Bocher est psychiatre et chef de service au CHU Nantes et présidente de l’INPH.
Ingrid NAPPI
Economiste, Spécialiste Ville durable, Immobilier et Espaces de travail
Professeur HDR de l’École nationale des ponts et chaussées
Titulaire de la Chaire Économie de la Transition écologique urbaine (Immobilier, Logement, Architecture, Aménagement) à l’Institut Louis Bachelier