Conseil National de la Refondation, pour une nouvelle approche de la politique industrielle
Forums Mac Mahon - 21 mars 2023
Les Forums Mac Mahon ont inscrit à leur agenda la politique industrielle dans le cadre de leurs travaux sur la Refondation.
Plutôt que réindustrialisation, qui évoque un retour au passé, les Forums Mac Mahon ont préféré parler de nouvelle approche de la politique industrielle. Ces travaux n’ont pas pour ambition d’être exhaustifs, mais plutôt de partager quelques convictions. Parmi celles qui ont été exprimées, mentionnons cinq d’entre elles :
1- Les problèmes auxquels la France doit faire face (croissance, indépendance, transition énergétique, emploi et niveau de vie, déficits budgétaires et sociaux, déficits extérieurs...) ne se résoudront pas sans que la priorité soit reconnue et accordée à l’industrie.
Elle est en particulier un facteur clé des gains de productivité.
Une politique de développement industriel ne se résume pas à un simple appui aux entreprises. Elle est tributaire de l'ensemble de la politique gouvernementale.
2- Un point de départ : le changement des structures gouvernementales.
Afficher la priorité conférée à l’industrie commence par créer un ministère emblématique, avec comme en Allemagne une direction de l’industrie et une direction de l’énergie, des télécom et du numérique. Lui serait attribué le monopole des règlementations concernant l’industrie, qu’il s’agisse des règles techniques, environnementales ou sociales, afin de simplifier et réduire le nombre des multiples règlementations applicables. Cela permettrait aussi l’allègement des structures administratives qui en ont la charge.
La recherche, quant à elle ne devrait plus être liée à l'université, trop théorique, trop éloignée de l’industrie et qui n'en a plus depuis longtemps le monopole. Elle pourrait être dévolue à une agence type DARPA qui couvrirait le militaire et le civil.
3- Une priorité de la formation et de l’emploi : les emplois industriels.
Ces emplois sont la base de la réussite d’une nouvelle industrialisation. Leur incidence est fondamentale pour améliorer la productivité générale de l’économie et contribuer à la croissance. La France a besoin de 60 000 ingénieurs par an alors qu'elle n'en forme que 40 000. Aussi, les écoles d’ingénieurs et les écoles ou instituts techniques doivent être prioritaires dans les crédits publics et la taxe d’apprentissage, en contrepartie d’un engagement d’augmenter leurs effectifs, à commencer par les Ecoles les plus emblématiques dont les effectifs pourraient augmenter de 50%. Plus largement, une transformation profonde de la mentalité des établissements d’enseignement supérieur, en particulier des universités, est indis pensable. L’enseignement supérieur doit mettre ses chercheurs et ses doctorants au service des entreprises en échange de la rémunération des services rendus, à l’image par exemple du pôle qui s’est constitué autour du campus de Cambridge (25 000 étudiants répartis dans 31 collèges) avec 5 000 entreprises employant 70 000 personnes et un chiffre d’affaires de 22,4 milliards d’euros. Reste néanmoins à trouver les leviers d’une telle mutation.
Au niveau scolaire, un levier important est celui des aides et des bourses, à rendre supérieures pour les élèves de l’enseignement technique et scientifique à celles offertes pour d'autres formations.
Plus généralement et en amont, les enseignements au collège et au lycée devraient consacrer un nombre d’heures suffisant à la découverte des sciences et des techniques.
En aval, le compte formation devrait être recentré sur les formations directement utiles à notre économie, avec un ciblage spécifique sur l’industrie accompagné de bonifications ciblées.
Plus largement encore, c’est une évolution culturelle en faveur des sciences et de la technique qui sera nécessaire. Pour redonner tout leur lustre à la science, à l’industrie et à la technique, et sensibiliser la jeunesse et la population, de nombreuses actions peuvent être proposées : prix scientifiques, olympiades de maths et de physique, rencontres et dialogues entre scientifiques et ingénieurs avec les élèves, émissions de télévision…
4- Une priorité budgétaire nouvelle : le développement industriel et la recherche.
Une telle approche passe par la fin de la politique de saupoudrage. Nos moyens n’étant pas illimités, les crédits et les avantages fiscaux pour la création d’entreprises et la recherche développement doivent faire l’objet d’une concentration sur les secteurs industriels les plus prometteurs, qu’il s’agisse d’industries d’avenir ou traditionnelles, en sacrifiant les politiques jugées moins prioritaires.
Face aux efforts des GAFA, des USA, de la Chine et de l’Allemagne, il est indispensable de prévoir au minimum 100 milliards€ de crédits, bien au-delà des 34 milliards€ sur 5 ans du plan France 2030, et d’atteindre un objectif de 3% du PIB consacré à la recherche. Pour ce qui concerne les secteurs d’intervention :
a. La robotisation de l’industrie française et le numérique, qui ne figurent pas au plan 2030, devraient être des priorités majeures de la politique industrielle française, eu égard notamment au vieillissement de la société et à la pénurie de main d’œuvre que l’on constate dès à présent.
b. Il faut ensuite tenir compte des nouvelles réalités politiques qui impliquent un effort majeur dans le domaine de la défense, non mentionné dans le plan 2030. L’objectif pour 2030 devrait être d’atteindre 3% du PIB si nous voulons être crédibles.
c. Il faudra accorder la priorité des priorités à l’industrie énergétique qui figure dans le plan de façon mineure. Les Forums Mac Mahon y consacrent des travaux spécifiques.
d. Autre priorité pour l’avenir de l’industrie française non évoquée dans le Plan France 2030 : la disposition des matières premières. La France comme de nombreux pays européens dispose de certains des gisements de minerais du futur, à savoir lithium, tungstène, uranium, antimoine, qu’elle devrait envisager de mettre en exploitation.
5- Une remise en cause des postulats économiques de l'union européenne est nécessaire.
Il convient de noter qu'aux USA les États sont libres d'aider leurs entreprises sans aucune intervention du gouvernement fédéral. La question mériterait même d’être posée de l'indépendance de la Dgcomp et de son rattachement au commissaire chargé de l'industrie.
L'ère de la mondialisation heureuse est terminée. Les relations commerciales sont dominées par la loi du plus fort : les USA, la Chine et même la Russie en montrent l’exemple. Le temps de la naïveté européenne est révolu. La politique commerciale doit non seulement servir à protéger notre économie mais à assurer sa sécurité. La politique agricole comme la politique industrielle ou énergétique doivent permettre à l’Europe d'asseoir sa place mondiale en cherchant son indépendance et son influence sur le reste du monde.
Dans cette perspective l'agriculture doit redevenir un secteur d'exportation. Les industries d'équipements agricoles et agroalimentaires ont la même importance stratégique que le nucléaire ou la biologie. Plus largement, un Buy European Act est indispensable. Un tel changement de paradigmes ne manquera pas de heurter nombre de nos partenaires. Mais l'enjeu pour la survie de notre économie est tel qu'il ne faudra pas hésiter à les menacer de faire cavalier seul ou avec d'autres, voire de se mettre temporairement en marge de l'Europe.
Jacques-André TROESCH
Conseiller maître honoraire,
Régulateur du marché français et européen de l’énergie (2000-2008)