L’industrie pharmaceutique française reste solide malgré les vulnérabilités révélées par la crise de la covid-19

L ’irruption de la covid-19 dans l’actualité mondiale a mis en avant les insuffisances du système de santé français qui a trop tardé à fournir des masques, du gel hydroalcoolique, des médicaments, des tests ou des respirateurs et qui a manqué de lits de réanimation et de personnel hospitalier.

L’industrie pharmaceutique a, pour sa part, été désignée comme responsable des pénuries de médicaments intervenues pendant la crise.

Ces faiblesses sont une conséquence de l’évolution très profonde qu’elle a connue depuis quelques décennies dans le monde et particulièrement en France.

Jusqu’en 2008, la France était le premier producteur européen de médicaments, elle n’est plus que le quatrième en valeur. Elle importe aujourd’hui pour 19 milliards d’euros de médicaments pour une production de 22 milliards d’euros, alors qu’au début des années 1970, la production était locale, la valeur des importations ne représentant que 5% de celle de la production.

Et les laboratoires français ont perdu du terrain. Il n’en reste qu’un (Sanofi) dans le top 20 mondial, et deux, Sanofi et Servier, dans le top 20 du marché français (avec respectivement 5,7% et 4,5% de part de marché).

Mais dans le même temps, les laboratoires ont assaini leur portefeuille de produits et leurs pratiques commerciales, augmenté leur présence à l’international, et amélioré leur efficacité opérationnelle.

Une vraie mutation orchestrée par les pouvoirs publics (évolutions réglementaires et volonté de réduire le déficit de l’Assurance Maladie), dans un contexte d’évolution technologique (notamment montée en puissance des biotechnologies).

Des mesures de maîtrise des dépenses de santé efficaces mais lourdes de conséquences

Même si le médicament ne représente qu’une petite partie des dépenses publiques de santé (environ 5,5%), l’industrie pharmaceutique a été fortement mise à contribution pour combler le gouffre abyssal de la sécurité sociale (30 milliards d’euros en 2010 ramené à 1,7 milliards en 2019).

Un très grand nombre de mesures ont été prises dans ce sens depuis les années 1980, parmi lesquelles des baisses du taux de remboursement, ou déremboursement des médicaments jugés peu utiles, des baisses des prix de vente, des mesures en faveur des génériques, des limitations de la promotion et l’instauration de taxes et prélèvements spécifiques…

Les conséquences de ces mesures se sont fait durement sentir à partir des années 2010 :

  • La consommation (en valeur) de médicaments en France, très dynamique avant 2009 (environ +5% par an en moyenne sur 1999-2009) a cessé de progresser depuis 2010.
  • Les effectifs de l’industrie pharmaceutique en France sont orientés à la baisse depuis 2008 (-9% en 10 ans).
  • Et les prix des médicaments français figurent parmi les plus bas d’Europe.

Une harmonisation européenne très partielle

L’harmonisation européenne (procédures communes d’octroi des Autorisations de Mise sur le Marché (AMM), libre circulation des biens) ne va pas jusqu’aux prix et taux de remboursement des médicaments qui restent du ressort de chaque pays.

Elle a eu pour conséquences de favoriser la concentration et la délocalisation de la production et d’augmenter le phénomène des importations parallèles, deux raisons d’aggravation du risque de pénuries.

Des coûts de développement devenus rédhibitoires pour les petits laboratoires

L’harmonisation européenne et les nombreux scandales liés à l’apparition d’effets secondaires dramatiques (thalidomine, Vioxx, Médiator, Dépakine…) ont conduit à plus de rigueur dans des processus d’autorisation de mise sur le marché de nouveaux médicaments.

Les essais cliniques sont devenus plus longs et plus coûteux.

Et puis les processus de R&D de nouvelles molécules ont radicalement changé avec le développement des biotechnologies devenues incontournables, aussi bien pour découvrir de nouvelles molécules (recherche de cibles) que pour les produire (en 2019, sur les 10 plus grandes en chiffre d’affaires, 7 sont produites par biotechnologie), mais très onéreuses.

Autant dire que, à quelques exceptions près, les petits laboratoires ne dégagent pas suffisamment de ressources pour financer le développement de nouvelles molécules.

Toutes ces évolutions ont profondément modifié la physionomie de l’industrie pharmaceutique française.

La situation opérationnelle des laboratoires a été assainie avec le recul des médicaments à SMR (Service Médical Rendu) insuffisant, la disparition des visiteurs médicaux aux pratiques douteuses, la plus grande rigueur dans l’octroi des AMM…

Mais, stagnation du marché, retraits de produits, baisse des prix, prélèvements spécifiques et augmentation des coûts de développement se sont traduits pour les laboratoires par une forte baisse de la croissance et de la rentabilité. L’âge d’or des laboratoires français semble révolu.

Les petits laboratoires généralistes qui vivaient confortablement en vendant des médicaments de confort promus par des armées de visiteurs médicaux ont dû s’adapter, ou bien se faire croquer par des confrères.

Plus de la moitié des laboratoires français du top 50 d’il y a 20 ans ont ainsi été rachetés aux trois quarts par des groupes étrangers.

Les autres ont mis en œuvre des stratégies leur permettant de pallier leur taille modeste et le vieillissement de leur portefeuille de produits, notamment par focalisation sur une niche thérapeutique ou sur une phase de la vie du médicament (commercialisation, recherche, production), par externalisation de la production ou par internationalisation, alliances et partenariats pour mutualiser les coûts.

Aujourd’hui, les laboratoires français sont donc moins nombreux, moins rentables, plus focalisés, plus internationaux et plus impliqués dans des partenariats.

Mais ils sont toujours très solides, avec une rentabilité qui reste enviable et un taux de défaillance très faible.

Parmi les leaders français, hormis les quatre grands (Sanofi, Servier, Pierre Fabre et Ipsen), on trouve de nombreux laboratoires spécialisés (comme Théa, LFB, Septodont, Stallergenes Greer,…), quelques spécialistes de l’automédication (Urgo, Cooper/Alpha) ainsi que, depuis peu, plusieurs grands façonniers pharmaceutique (Fareva, Delpharm, Ehtypharm, Unither…).

Et dans les plus petits, on note quelque 700 sociétés de biotechnologie qui concentrent une forte capacité d’innovation et préparent les médicaments de demain.

Malgré la dégradation de sa situation, l’industrie pharmaceutique a su faire preuve de réactivité et d’innovation face à la covid-19

Même s’ils ont été montrés du doigt comme responsables des pénuries de médicaments pendant la crise, les laboratoires français ont su faire preuve d’une grande réactivité dans la lutte contre la covid19 :

  • Production en urgence de gel hydro-alcoolique (Pierre Fabre, Fareva, Delpharm, Cooper, Boiron, Ethypharm, Septodont, Expanscience),
  • Augmentation de production de paracétamol, Doliprane, prednisolone, propanolol, Nivaquine, Plaquenil ainsi que de divers anesthésiques et hypnotiques,
  • Lancement de nombreux programme de recherche de nouveaux traitements (Kevzara et deux vaccins pour Sanofi, trois vaccins pour l’Institut Pasteur, anticorps polyclonaux pour Xenothera, hémoglobine de vers marins pour Heparina…).

Ce sont autant d’initiatives des laboratoires français petits et grands face à la crise, qui témoignent de la vitalité conservée par le secteur après une longue période de vents contraires. Même si elle a beaucoup souffert durant les dernières décennies, l’industrie pharmaceutique française conserve de beaux atouts pour l’avenir.

Jacques CHAUSSARD, Président de Finalysis