Propos recueillis par Olivier CHAMPAGNE
Thibaud de PORTZAMPARC, Partner Siparex ETI
Adrien SIRERA, Investment Director Siparex Entrepreneurs
La réindustrialisation est devenue une thématique centrale du débat économique en France depuis la pandémie. Pourtant, chez Siparex, acteur reconnu du capital investissement, ce sujet ne relève pas d’un simple effet de mode : c’est un enjeu structurel, de long terme, qui s’enracine dans une pratique d’accompagnement du tissu industriel français depuis des décennies. En témoigne la proportion de ses investissements dans le secteur de l’industrie et des services industriels, qui représente 40% de son portefeuille. À travers les témoignages croisés d’Adrien Sirera (Investment Director Siparex Entrepreneurs) et Thibaud de Portzamparc (Partner, Siparex ETI), se dessine une approche différenciée de ce que peut – et doit – être la réindustrialisation pour un investisseur engagé.
Thibaud de Portzamparc : Nous l’appelons tous de nos vœux ! La réindustrialisation est un thème récurrent mais aux effets encore peu tangibles dans notre portefeuille d’ETI, notamment en France. Nous avons quelques cas de création d’usines, à l’instar de l’une de nos participations du secteur agroalimentaire basée dans l’Ain qui a construit un tout nouveau site de production de très grande taille, mais ce n’est pas encore une réalité totale. Même si le souhait est bien là…
Adrien Sirera : Une stratégie industrielle se construit sur le long terme. Pour bâtir des projets industriels on a besoin d’un cadre fiscal et politique stable. Or nous sommes dans un environnement très incertain. A cela s’ajoutent des facteurs structurels : coût du travail, concurrence asiatique… Donc malgré les annonces politiques et l’intérêt croissant des investisseurs pour cette thématique, la réalité industrielle reste contrainte.
Thibaud de Portzamparc : pour ce qui concerne notre activité d’investissement dans les ETI, nous privilégions les entreprises industrielles ayant des savoirfaire de niche, bien spécifiques qui les rendent uniques. Les secteurs visés sont très variés : agroalimentaire, matériel médical, équipements électriques, essieux pour le transport ferroviaire, chimie, aciers spéciaux …. Ces entreprises industrielles ont toutes en commun d’avoir des barrières très fortes à l’entrée, qui créent une interdépendance importante vis-à-vis des clients. Elles deviennent difficilement remplaçables une fois que leur référencement est établi et qu’elles ont l’outil industriel dont le client a besoin.
A l’inverse nous évitons les secteurs dépendants de tendances cycliques, liés au secteur automobile par exemple, ou lorsque l’activité nécessite de réinvestir des capex importants pour maintenir le niveau industriel, sans même faire du développement.
Adrien Sirera : en ce qui concerne les PME de plus petites tailles dans lesquelles l’équipe Siparex Entrepreneurs investit, nous privilégions les modèles hybrides «industrie + service», créateurs de valeur durable. Le point commun entre les entreprises de notre portefeuille est que nous les accompagnons au début de leur croissance. Et pour toutes, la composante Service est primordiale. Leurs dirigeants considèrent qu’ils ne vendent pas seulement des produits mais aussi des services. Pour nous, il est très important, dès le départ, de savoir détecter si ces dirigeants savent à quoi servent leurs produits, s’ils répondent bien à une attente sociétale ou règlementaire, s’ils servent bien les attentes des clients. Au-delà du produit, ces entreprises sont capables de vendre une solution complète. Comme pour les ETI, il est important que ces entreprises aient d’énormes facteurs différenciants. Pour maintenir une activité industrielle sur cette taille d’entreprise, il est nécessaire d’avoir un produit spécifique et d’investir dans les outils de production pour les maintenir à la pointe.
Adrien Sirera : Notre portefeuille de PME ne comporte pas beaucoup d’entreprises industrielles exportatrices, mais certaines peuvent le devenir. Avant d’investir, nous regardons surtout si elles ont cette capacité à l’export, potentielle ou avérée. Si la production d’une entreprise est conforme règlementairement pour toute l’Europe, qu’elle a le bon service, la bonne technologie, alors a elle a tout le potentiel pour exporter. Nous valorisons la capacité à produire localement et l’ancrage territorial, tout en préparant le potentiel export.
Thibaud de Portzamparc : dans le cas des ETI, en général nous investissons quand elles ont fait leur preuve à l’international car souvent le marché domestique ne suffit pas. On aime investir dans des industries non-délocalisables, quand ce sont des business qui nécessitent d’être proches des clients finaux, ce qui nécessite aussi beaucoup d’implantations mais rend l’entreprise indispensable.
Thibaud de Portzamparc : nous intervenons seuls ou en co-investissement selon les contextes. A titre d’exemple, nous nous sommes associés à un fonds sectoriel santé et au fonds France Nucléaire pour investir dans le leader mondial de la production de gants destinés aux industries pharmaceutique et nucléaire. C’est une forme de capital intelligent sur les 2 secteurs clés de l’entreprise qui va au-delà du simple financement pour apporter une vraie valeur stratégique et opérationnelle à l’entreprise industrielle. De même, dans le cas d’une ETI industrielle de notre portefeuille qui avait besoin d’investissements pour poursuivre son développement mais qui allaient au delà de nos capacités, nous avons fait entrer au capital un fonds d’investissement américain à nos côtés. Nous pouvons aussi mobiliser nos Limited Partners (ou LPs ) - souscripteurs de nos fonds - et des partenaires bancaires pour nous accompagner dans le financement des entreprises à long terme.
Adrien Sirera : La réindustrialisation reste donc un sujet d’actualité, notamment pour soutenir notre souveraineté. Le chemin est long mais nous sommes convaincus que le secteur industriel a de très beaux jours devant lui en France s’il est innovant et tourné vers les clients, comme en témoigne la part croissante des investissements du capital investissement dans ce secteur.
Thibault de PORTZAMPARC
Partner Siparex ETI
Adrien SIRERA
Investment Director Siparex Entrepreneurs