Réindustrialisation, relocalisation et ruralité : un nouvel élan pour les territoires

Michael RESTIER, Directeur ANPP Territoires de projet

Jérôme CLEMENT, Directeur du Pôle territorial du Perche


Depuis les années 1950, la désindustrialisation et la fermeture d’usines ont laissé de nombreuses zones rurales et périurbaines exsangues. Privées d’emplois et de perspectives économiques, elles n’ont pas pu ou su anticiper cette évolution et former aux compétences nécessaires pour une reconversion réussie. Pourtant, la réindustrialisation des territoires ruraux se profile comme une perspective majeure pour renforcer l’économie locale, réduire les inégalités territoriales et favoriser une production plus durable et résiliente. Dans le contexte géopolitique que nous connaissons, c’est tout autant un outil de développement local qu’un levier de réappropriation de notre souveraineté industrielle.



Un contexte favorable à la réindustrialisation rurale

L’État et l’Union européenne mettent en place des politiques d’incitation à la relocalisation industrielle, notamment via des subventions, des avantages fiscaux et des appels à projets ciblés, comme le dispositif Territoires d’industrie, lancé en 2018 et co-porté par l’ANCT et la DGE. Les programmes France Relance ou les financements européens (FEDER) apportent un accompagnement concret aux entreprises souhaitant s’implanter en milieu rural.

Dans cette optique, les transitions environnementales et l’économie circulaire poussent à une réindustrialisation plus sobre, résiliente et, surtout, plus locale. L’essor des énergies renouvelables (biogaz, solaire, éolien) ouvre des perspectives pour des industries moins émettrices, s’intégrant dans des éco-systèmes locaux où elles valorisent et s’adaptent aux ressources disponibles (bois, sous-produits agricoles, biomasse). Ce tournant est d’ailleurs plébiscité par les consommateurs qui, de plus en plus, adoptent un comportement visant à privilégier les circuits courts et les productions locales dès lors qu’ils sont mis à leur portée, favorisant le retour des unités de production de textiles, d’alimentation ou encore d’artisanat en zone rurale. Les nouvelles attentes en matière de traçabilité et de qualité confortent l’opportunité des industries de proximité.

Les territoires ruraux offrent donc de multiples atouts pour l’industrie. Quoique maintenant encadré par le fameux ZAN, le foncier y est davantage disponible et attractif. Cet argument, doublé d’une qualité de vie appréciée par les habitants et d’un coût de la vie plus abordable, facilitera d’autant cette réindustrialisation. Une attention spécifique doit cependant être portée sur les rémunérations, car les salaires dans le secteur industriel sont globalement plus intéressants que d’autres secteurs d’activités ruraux.


Toutefois de nombreux défis sont à relever pour une réindustrialisation réussie

En premier lieu, il s’agira d’adapter la formation initiale aux métiers de demain pour les plus jeunes et d’accompagner la reconversion professionnelle des moins jeunes, dans le souci de disposer de salariés aptes à répondre aux nouveaux besoins industriels. Il conviendra ensuite de soutenir les services publics dans ces mêmes territoires ruraux, pour maintenir leur attractivité aux yeux des prétendants salariés de ces nouvelles usines, avec deux axes principaux : l’accès aux soin et la mobilité.

En second lieu, il sera nécessaire d’installer une gouvernance concertée entreprises/ élus, une connexion régulière avec les pôles universitaires et de recherche, ainsi qu’une ingénierie publique locale dédiée pour travailler au renforcement d’un écosystème local indispensable à l’organisation d’une réponse solide aux besoins des entreprises (souvent les entreprises appartiennent à des groupes dont les sièges de décision sont déconnectés des réalités locales). Des réflexions autour de la responsabilité territoriale des entreprises ou l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (territoriale) nous mettent sur la voie.

Enfin, la réindustrialisation étant un projet économique, mais aussi politique, il est indispensable de coconstruire des consensus autour de ce qu’elle recouvre, car le défi d’une industrie locale désirable passe par une approche participative et concertée, dont on ne peut faire l’économie si l’on veut instaurer un climat de confiance pour établir une ambition réalisable et pertinente.


Territoire d’industrie du Perche : une gouvernance locale concertée avec les industriels ainsi qu’un soutien appuyé pour la formation et le recrutement

70% de l’emploi industriel se situe dans les territoires périurbains et ruraux. Issue d’une longue tradition industrielle, le Perche dispose d’un bassin économique de près de 11.000 emplois industriels répartis sur un territoire continu d’une cinquantaine de km autour de Nogentle-Rotrou (28). Malgré les mutations de ces dernières années, les entreprises et les collectivités du territoire ont permis de maintenir un niveau d’activité et d’emploi supérieur aux moyennes nationales. Son tissu est dense avec de grands groupes industriels et de nombreuses PME évoluant dans des domaines diversifiés : agroalimentaire, mécanique de précision, automobile, électronique, plasturgie…

Lors de la première phase de Territoire d’industrie, le Perche a créé 519 emplois industriels. La première démarche a été de renforcer les temps d’échange entre les entreprises et les élus (comité de pilotage industriel, soirées de l’industrie, création d’un club d’industriels…) et d’établir, en concertation, un programme d’actions claires, animé par une ingénierie confiée au Pôle Territorial du Perche en liaison avec les communautés de communes (élus à l’économie/DG), l’État et la Région (agence Dev’up/services de l’économie). Développement des capacités d’accueil en misant sur la sobriété foncière, optimisation des outils de production et innovation de filières, mutualisation entre les entreprises et transition écologique, et bien sûr soutien à la formation et au recrutement, sont les axes forts du programme du Perche.

Des efforts significatifs sont ainsi mis en œuvre pour, à court terme, faciliter la montée en compétence au sein des entreprises (création d’un plateau technique pour développer la formation continue en local, création d’une grappe d’entreprises liées à la plasturgie pour encourager la mutualisation des formations en injection plastique…). Puis, à moyen/long terme, apporter un minimum de prérequis aux candidats aux métiers de l’industrie sur les postes libérés par les salariés ayant obtenus des postes plus qualifiés (notamment les jeunes décrocheurs par la création d’une école de production). Une forte politique de sensibilisation aux métiers industriels est également déployée dès le collège (Challenge Collèges-Lycées/entreprises avec finale locale annuelle).


Donc oui c’est possible et opportun de conjuguer industrie et ruralité

La réindustrialisation rurale repose donc sur plusieurs piliers : volonté politique, innovation, attractivité et transition écologique. Si les défis restent nombreux, les solutions existent et les expériences de terrain montrent qu’une nouvelle industrialisation est possible, car elle est une opportunité certes, mais aussi une nécessité pour notre souveraineté européenne et nationale. Elle ne sera cependant satisfaisante et efficiente que par une coordination efficace entre acteurs publics, entreprises et citoyens pour une acceptabilité locale partagée.


Michael RESTIER

Directeur ANPP Territoires de projet


Jérôme CLEMENT

Directeur du Pôle territorial du Perche