Olivier LLUANSI, Professeur titulaire de Chaire au Conservatoire des Arts et Métiers, enseignant à l’Ecole des Mines, et participe à plusieurs laboratoires d’idées
Le constat est simple : de nombreux projets industriels ne trouvent pas leur financement. La réponse habituelle est « tous les bons projets trouvent leur financement ». Mais qu’estce qu’un « bon » projet industriel ? Un projet qui promet un taux de retour sur investissement (TRI) de 15% et un multiple de 3 lors d’une sortie dans trois ans ? N’a-t-on pas un « bon » projet avec un TRI de 10% et un véritable modèle d’économie circulaire ?
Le financement public de notre réindustrialisation, et notamment celui des PMI, existe principalement via Bpifrance. Ce n’est pas là que le bât blesse le plus, même si certaines phases, par exemple celle de la pré-industrialisation, trouvent encore trop peu de soutiens.
Du côté des fonds de « fonds propres » – près de quatre cents en France –, seule une trentaine sont fléchés vers l’industrie, et quelques-uns seulement en font leur spécialité . Souvent ces acteurs ont d’abord œuvré dans la « tech », c’est-à-dire essentiellement dans le numérique, les problématiques industrielles étant moins bien connues et maîtrisées. Ils sont par ailleurs freinés par la rentabilité des projets industriels qui est plus tardive et parfois plus faible que dans d’autres secteurs.
Enfin, nombre d’entreprises familiales ne souhaitent pas ouvrir leur capital pour des raisons patrimoniales. Il arrive même qu’elles renoncent à une croissance, interne ou externe, au motif qu’elles ne peuvent pas la financer par la dette. Il s’agit là un aspect culturel important à prendre en compte.
À ce stade, on voit bien que le financement de notre renaissance industrielle n’est pas stabilisé. Et pourtant, comme toujours, il existe des solutions. La diversité des produits financiers permet de répondre aux spécificités des situations. Ainsi, pour le chef d’entreprise qui souhaite en conserver le contrôle patrimonial, il existe les obligations convertibles. Le souscripteur de l’obligation n’entre pas directement au capital tandis que cet outil est considéré comme des quasi-fonds propres dans les ratios financiers.
Le besoin d’investissement supplémentaire dans notre industrie est de l’ordre de 200 milliards d’euros sur dix ans, soit 3% de l’épargne du pays qui s’élève à plus de 6 000 milliards d’euros. 3% seulement ! La coïncidence est cocasse, car c’est approximativement le montant des Bons du trésor américain détenus par les Français… et qui financent donc l’Inflation Reduction Act.
Ce n’est donc pas la question des ressources qui est posée, mais celle de leur fléchage. Les projets industriels présentent globalement, sur le temps court notamment (trois-cinq ans par exemple), des retours sur investissement moindres. Ainsi, les gestionnaires d’épargne, aussi matures soient-ils sur les questions industrielles, n’y placeront des montants conséquents que s’ils y sont incités, par la fiscalité ou par la réglementation. Ce fléchage nécessite donc l’intervention de la puissance publique.
À ce jour, les acteurs régionaux et mutualistes sont les plus actifs pour financer ces investissements. Les règles jurisprudentielles ne semblent plus être une contrainte. Leur capacité à offrir des rendements de 3% à 4% annuels semble satisfaire les épargnants, surtout s’ils ont le sentiment de contribuer au développement économique de leur région. Une incitation publique devrait permettre de faire mieux.
Ainsi doit-on viser de lever des fonds régionaux de l’ordre du milliard d’euros dans chacune de nos régions. Cela conduira sans doute notre système banque-assurance national à se mobiliser davantage, faute de quoi un marché qui se mesure en centaines de milliards d’euros pourrait lui échapper.
Initiatives à court terme
• Développer les fonds régionaux de financement de l’industrie avec des levées d’épargne des ménages.
• Viser des fonds cumulant un milliard d’euros par région. Les rendre éligibles aux UC d’assurance-vie.
Chantiers à moyen terme
• Organiser le fléchage d’une partie de l’épargne (2-3%), notamment de l’assurance-vie vers l’industrie non cotée. Les rendements y étant moindres et plus longs, une incitation, fiscale ou réglementaire, est nécessaire.
• Consolider le modèle de l’entreprise industrielle familiale. Développer des modalités de financement en fonds propres ou quasi-fonds propres adaptées, sur cinq-dix ans minimum ou en evergreen.
Extrait actualisé d’Olivier Lluansi, Réindustrialiser, le défi d’une génération, Les Déviations, Paris 2024.
Olivier Lluansi a publié en 2024 « Réindustrialiser, le défi d’une génération » (Les Déviations) et en mai 2023 « Les néo-industriels, l’avènement de notre renaissance industrielle (Les Déviations). Il est également co-auteur de « Vers la renaissance industrielle » (Marie B, 2021).
Olivier LLUANSI,
Professeur titulaire de Chaire au Conservatoire des Arts et Métiers, enseignant à l’Ecole des Mines, et participe à plusieurs laboratoires d’idées