La crise de la Covid a fait ressurgir, et pour certains accueillir, ce qui est étrange en nous-mêmes. Mais si elle a eu le mérite de replacer l’homme au cœur du débat et provoquer des introspections salutaires, elle a aussi montré qu’une économie basée sur une pensée unique courrait à la catastrophe, trop axée sur les valeurs chiffres-efficacité-rentabilité qui hiérarchisent et enferment au détriment de «l’intime». Car la Covid n’est pas qu’une crise sanitaire. Elle vient cristalliser une profonde crise morale et spirituelle qui pose la question de la vie en communauté et donc de la relation à soi et aux autres dans une économie de sens. Nous n’avons pas su préserver l’héritage d’une modernité politique, née avec la philosophie des Lumières, qui se basait sur la volonté d’émancipation des individus pour une humanité meilleure à travers les progrès de la technique et son cortège de libertés, le recul de l’ignorance, le dialogue et l’amélioration des conditions de travail. Au contraire, le XXe siècle a connu la victoire des castes, des préjugés, de la volonté d’imposer ses points de vue, de l’absence d’écoute, des injonctions parentales, du management top-down1 , de la pensée unique, de l’hégémonie de la rationalisation, de la prédominance progressive du quantitatif sur le qualitatif, au détriment de tout autre courant centré sur l’humain. Et notre XXIe siècle se poursuit avec la numérisation du monde qui a pour conséquence de placer les données numériques au centre des échanges économiques et sociaux, avec en corollaire une surcharge cognitive et la dilution des liens qui favorisent la peur.
L’économie post Covid devra alors sortir de sa zone de confort, réinventer le management des entreprises, optimiser les ressources naturelles, réconcilier économie et écologie, optimiser la mobilité, repenser la ville et certains services, construire un écosystème de sens, créer de la valeur pour la communauté et générer confiance et bonheur. Elle devra arrêter de confondre multiculturalisme et mondialisation au profit de la première pour une plus grande solidarité. Elle devra redonner ses lettres de noblesse à l’intuition, la résilience, le lâcher prise, et se concentrer sur la recherche du Telos de chacun.
L’économie de demain devra réinventer le management et remettre l’homme au centre du jeu
Elle devra créer du lien, co-construire, favoriser des postures d’accueil, de caring, de créativité et de souplesse. Déléguer la confiance et favoriser l’autonomie, inverser le top-down, développer l’écoute, adopter un mode de gouvernance beaucoup plus ouvert sur l’individu, dans l’ici et maintenant, l’observation des acteurs, de leurs influences, de leurs ressentis à euxmêmes, de leurs multiples intelligences et des interactions qui les relient.
La source de notre bonheur et de notre bien-être n’est ni l’argent ni la célébrité, mais la qualité de nos relations humaines : c’est la conclusion de la plus longue étude sur le bonheur jamais réalisée, menée depuis 1938 par Harvard. Le leadership devra se traduire désormais plus dans la capacité de créer du lien que d’être un sachant, l’économie devra générer un bonheur qui ne se réduit pas simplement à être en bonne santé et survivre mais qui permettra de réaffirmer les valeurs de liberté, fraternité, existentialité, justice, comme le rappelait le philosophe ComteSponville.
L’économie de demain devra apprendre à viser et non pas à vouloir atteindre à tout prix
Aucun algorithme, aucun prévisionniste, n’avaient prévu cette crise inédite. Elle est venue bousculer tous les « je veux », « il faut » et autres objectifs quantifiés, synonymes d’un but à vouloir atteindre-le Skopos. Mais lorsqu’on veut atteindre un but, on crée une tension car on se place dans un futur dont nous n’avons pas le contrôle et nous ne sommes plus dans le présent. L’économie post Covid devra alors apprendre à viser un but, et surtout tout mettre en œuvre pour développer la seule entité contrôlable : notre Telos, nos ressorts intimes, notre « qui suisje ? » par la recherche de nos motivations intrinsèques.
L’économie de demain devra s’appuyer sur les motivations intrinsèques
Au commencement était la motivation 1.0, celle de la survie pure et simple, de la reproduction, des premiers liens sociaux et du troc. Au fil du temps, avec le développement de l’économie de masse, nous sommes passés à la motivation 2.0, la carotte et le bâton, illustrée par l’organisation scientifique du travail issue des modèles de Taylor et de Ford. Le travail était découpé, la dimension rationnelle puis algorithmique des tâches mise à l’honneur au détriment du collectif. Une récompense extérieureextrinsèque- encourageait l’activité, une punition la sanctionnait. De nombreuses études et expériences démontrent désormais que ce système ne fonctionne plus. Cette récompense conditionnelle a un effet négatif car la personne renonce alors à son autonomie. Elle ne favorise plus l’excellence et réduit notre réflexion créative. Place alors à la motivation 3.0, intrinsèque -le Telos, surtout dans la guerre effrénée de recherche de talents, dans laquelle trois fondements psychologiques innés doivent prendre toute leur place : être compétent, autonome et entretenir des liens. Quand ces trois piliers existent, nous sommes productifs, motivés et heureux, et cela a été démontré dans de nombreux cas en situation de télétravail. Les personnes qui désormais réussissent le mieux sont celles qui ne recherchent pas directement le succès, mais qui travaillent dur et surmontent les difficultés en raison d’un désir intérieur de garder le contrôle de leur propre existence, de mieux ressentir le monde qui les entoure et de réaliser des choses durables, qui ont du sens. Un travail intéressant et satisfaisant est désormais synonyme d’autonomie.
L’économie post Covid va devoir changer de paradigme pour transformer les organisations et accompagner les individus pour que chacun y trouve sa motivation intrinsèque, sa place et son équilibre.
L’économie post Covid sera comportementale ou ne sera pas.
1/ Expression anglo-saxonne qui définit une organisation du haut vers le bas : décidée au plus haut niveau de la hiérarchie, elle s’applique à l’ensemble de l’entreprise
Christophe BOURGOIS COSTANTINI, Ex chef d’entreprise (cash out en 2015), coach HEC, fondateur d’Intelligences Factory