Les semi-conducteurs : Un pilier stratégiquement positionné dans la renaissance industrielle Européenne

Nicolas CHANTIER, Fondateur de N72


L’Europe, dans sa quête de réindustrialisation, s’appuie sur plusieurs piliers stratégiques, parmi lesquels les semi-conducteurs occupent une place centrale. Ce secteur est un levier essentiel pour renforcer la compétitivité industrielle du continent tout en répondant aux défis économiques et géopolitiques du XXIe siècle.


Une Ambition Européenne Clarifiée : Produire Plus et Consommer Mieux

L’objectif européen, fixé par le European Chips Act, est ambitieux : doubler la part de l’Europe dans la production mondiale de semi-conducteurs pour atteindre 20% d’ici 2030, contre environ 9% en 2024 [Source : European Chips Act]. Cet objectif reflète une volonté de souveraineté technologique face à une dépendance critique aux importations asiatiques. En parallèle, les industries européennes consomment environ 94  milliards de dollars en semi-conducteurs chaque année, soit 15 % de la demande mondiale [Source : ESIA]. Pour répondre à ces enjeux, l’Europe mise sur des investissements massifs. L’usine FD-SOI de STMicroelectronics à Crolles (Isère) représente un investissement de 7,5 milliards d’euros, tandis qu’Intel, malgré des discussions en cours sur le niveau des subventions, maintient son projet d’investir 17 milliards d’euros dans une méga-usine à Magdeburg en Allemagne. Ces projets visent à renforcer la capacité locale de production tout en répondant à des besoins mondiaux croissants dans des secteurs clés comme l’automobile et l’énergie.


Forces Sectorielles et Dynamiques Régionales

L’industrie automobile européenne repose sur les semi-conducteurs pour répondre aux besoins croissants des véhicules électriques et autonomes. Une voiture moderne intègre jusqu’à 1  400 semi-conducteurs, dont une part croissante est produite localement grâce à des technologies avancées comme le FD-SOI (Fully Depleted Silicon On Insulator – silicium sur isolant totalement déplété) et le carbure de silicium (SiC). À Grenoble, STMicroelectronics, en collaboration avec le CEA-Leti et Soitec, joue un rôle central dans le développement et la production de puces FD-SOI. Ces puces sont essentielles pour les radars, les systèmes avancés d’aide à la conduite (ADAS) et les unités de contrôle moteur. Infineon, depuis son site de Villach en Autriche, domine le marché des puces SiC utilisées dans les onduleurs des véhicules électriques et les stations de recharge rapide

Dans le domaine des énergies renouvelables, Infineon est également un acteur majeur avec ses puces SiC utilisées dans 50% des onduleurs éoliens offshore européens. En Allemagne, GlobalFoundries à Dresde contribue à cette dynamique en produisant des substrats avancés. Ces composants permettent une meilleure efficacité énergétique, réduisant les pertes électriques. Pour l’IoT industriel, où l’Europe produit déjà 25% des puces mondiales [Source : ESIA], Grenoble (Soitec) et Dresde («Silicon Saxony» avec Bosch et GlobalFoundries) sont des centres technologiques clés, notamment pour les capteurs MEMS qui équipent 70% des chaînes manufacturières automatisées en Europe [Source : Bosch].


Écosystèmes Dynamiques au Cœur de l’Europe

Au-delà de ces pôles majeurs, d’autres régions illustrent la vitalité européenne. Aux Pays-Bas, l’écosystème autour d’ASML à Veldhoven est unique. Leader mondial incontesté de la lithographie ultraviolette extrême EUV avec 90% de parts de marché, ASML a réalisé 26,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024 [Source : ASML]. À Eindhoven, NXP Semiconductors excelle dans les puces pour l’automobile et l’IoT (Internet des objets), avec un chiffre d’affaires mondial de 13,2  milliards de dollars en 2023 [Source : NXP]

En France, l’Île-de-France concentre également des acteurs clés. Sur le plateau de Paris-Saclay, des centres de R&D majeurs côtoient des entreprises innovantes. Almae Technologies, basée à Marcoussis et spin-off du III-V Lab (Nokia, Thales, CEA-Leti), se spécialise dans les puces photoniques en phosphure d’indium (InP). Ces composants sont cruciaux pour les télécoms et les datacenters, notamment pour les interfaces optiques ultra-rapides (200G+ par canal) requises par les serveurs IA pour gérer les flux de données massifs. Almae collabore étroitement avec Riber, basé à Bezons, pour ses équipements de production MBE (épitaxie par jets moléculaires), renforçant ainsi la chaîne de valeur locale. La Normandie, quant à elle, voit émerger un écosystème dynamique autour d’acteurs comme Murata (Caen), qui investit 66 millions d’euros pour doubler sa capacité de production de composants passifs sur silicium pour mobiles et véhicules électriques.


Des Innovations Disruptives au Service de l’Avenir

L’Europe ne se contente pas de renforcer ses capacités existantes ; elle innove dans des domaines de rupture. À Grenoble, Quobly, issue du CEA-Leti, développe des puces quantiques en silicium, une approche prometteuse car potentiellement intégrable aux lignes de production actuelles, visant une commercialisation dès 2028 [Source : CEA-Leti]. Le projet Quantum Silicon, avec un budget européen de 1,2 milliard d’euros, soutient cette ambition de leadership dans le quantique. Dans l’IA, l’Europe mise sur l’Edge AI, traitant les données localement pour plus d’efficacité et de confidentialité. Le projet EdgeAITrust (budget : 41 millions d’euros) cible des applications industrielles comme les véhicules autonomes et l’industrie 4.0.


Un Réalisme Stratégique Face aux Dépendances

Malgré ces progrès, l’Europe ne vise pas l’autarcie. Des dépendances critiques subsisteront. Les puces les plus avancées pour l’IA générative (GPU Nvidia) et les FPGA haut de gamme (dominés par AMD/Xilinx) resteront majoritairement importées des États-Unis. Les startups européennes comme NanoXplore (spécialisée dans les FPGA pour l’aérospatial) et Menta (FPGA open-source RISC-V) ne représentent qu’une fraction du marché mondial des FPGA (Réseaux logiques programmables), même si elles sont positionnées sur des niches stratégiques. L’ambition européenne est donc celle d’une souveraineté ciblée, visant à maîtriser des maillons essentiels de la chaîne de valeur (équipements, matériaux, puces spécialisées) tout en maintenant des partenariats globaux.


La Valeur Économique : Un Impact Multiplicateur

Le secteur des semi-conducteurs génère une valeur économique exceptionnelle pour l’Europe. Avec un chiffre d’affaires moyen par employé atteignant 340  000  euros, soit près de trois fois la moyenne industrielle européenne [Source  : SEMI Europa], il se positionne comme un moteur clé pour la croissance régionale. Chaque emploi direct crée trois emplois indirects dans les services associés et la chaîne logistique. Selon McKinsey, les initiatives européennes pourraient générer jusqu’à 150 milliards d’euros de valeur ajoutée annuelle d’ici 2035 si elles atteignent leurs objectifs stratégiques.


Conclusion : Une Vision Équilibrée pour l’Avenir

L’Europe construit son avenir industriel sur une double dynamique : produire localement pour réduire sa dépendance stratégique et innover pour capter une part croissante du marché mondial. Les semi-conducteurs ne sont pas seulement un outil technologique ; ils incarnent une vision économique où souveraineté ciblée rime avec compétitivité globale.


Nicolas CHANTIER

Fondateur de N72