La réaction de la collectivité européenne, et plus particulièrement française, à la pandémie du COVID 19 a été d’éviter une crise de liquidité pouvant entrainer des faillites en chaine. Les PGE ont été octroyés par les banques, en leur qualité de fiduciaires du denier public et donc de leur aptitude à apprécier la capacité de l’emprunteur à rembourser cette aide. Cette capacité de remboursement s’appuie sur les hypothèses établies par les sociétés de retrouver leur chiffre d’affaires normatif (i.e. 2019). En d’autres termes, la rentabilité doit être majorée afin d’affecter entre 5 et 6,25% du CA au remboursement du PGE et cela, sans tenir compte des incidences des tensions sur la supply chain mondiale ou encore de l’éventuel retard en investissement des entreprises. Les entreprises à BFR négatif sont celles pour lesquelles la perte sèche de CA entraine rapidement des risques d’impasse de trésorerie, elles sont aussi celles qui attirent généralement plus facilement les placements des institutionnels et qui, pourtant, risquent la dégradation de leur note de crédit, entrainant potentiellement une provision ou une dévalorisation de la participation (base de mark to market value) de l’institutionnel et, in fine du bilan consolidé de la banque avec un potentiel risque systémique.
Le séisme du COVID a entrainé une manne d’argent frais pour éviter un effet domino par manque de liquidité de tous les acteurs économiques. La France a choisi, outre les aides fiscales et sociales, pour pallier tout risque systémique, que les banques françaises, fiduciaires du denier public, accordent, après une analyse succincte, des prêts amortissables jusqu’à 25% du chiffre d’affaires (CA) de l’exercice 2019, selon les modalités choisies par l’emprunteur et sur une durée maximale de 6 ans. L’automatisme d’octroi a été limité par la seule contrainte imposée par la réglementation européenne concernant la solvabilité de l’emprunteur. À la date de la demande, ce dernier ne pouvait être considéré comme une entreprise en difficulté au sens de la réglementation européenne.
Les banques bénéficiant à due concurrence, majoritairement, de 90% de l’encours du prêt consenti, de la garantie étatique, aucune autre garantie, de quelque forme que ce soit, ne pouvait conditionner l’octroi du Prêt Garanti par l’Etat (PGE). In fine, on pourrait dire que le PGE a permis de faire supporter par la collectivité les conséquences, en trésorerie, de la perte de chiffre d’affaires et donc la dépréciation définitive de valeur, usuellement portée et supportée par les associés de la société.
Il convient de rappeler que le système bancaire et les établissements financiers ont également participé au soutien de l’économie, en accordant des franchises de remboursement (souvent principal et intérêts) pendant une période de 6 mois, les échéances étant alors, majoritairement, payables en fin de période.
Pour certains secteurs (tourisme, aéronautique…), il est estimé que le retour à des chiffres d’affaires équivalents à ceux de 2019, n’interviendrait pas avant 2023, voire 2024. Les sociétés dont le BFR est structurellement négatif, tournées vers le BtoC, sont celles qui ont le plus souffert de l’arrêt des activités, sans besoin de ligne court terme, l’absence de chiffre d’affaires ayant pu les plonger dans des impasses de trésorerie.
Les prévisionnels de reprise d’activité établis au niveau microéconomique, c’est-à-dire par la contrepartie crédit de la banque, anticipent le délai nécessaire pour retrouver le CA normatif (2019) et son évolution. Ce business plan et ce plan de trésorerie, support de la demande de PGE, ne pouvaient prendre en compte, sur le BFR de reprise des sociétés françaises, les effets perturbateurs (i) de la durée réelle de la crise COVID (estimée initialement à 3 mois mais d’au minimum 18 mois) (ii) d’un arrêt de production et de la fermeture de ports en Asie du Sud-Est et (iii) de la forte reprise de la demande mondiale.
Le premier effet a été partiellement corrigé par une franchise de remboursement d’un an, optionnellement prorogeable d’une année, permettant un amortissement sur 4 ans et non 5 ans, comme initialement prévu, alors que les autres effets correspondent à des hypothèses plus ou moins fondées, sans aucune certitude quant à leur réalisation. Et pourtant, de ces hypothèses découlent la capacité ou non de la société à apurer sa dette COVID sans encourir un risque d’insolvabilité.
En cas d’amortissement in fine, soit au 6ème anniversaire, la société pénalise sa reprise d’activité par un endettement important et, pour certaines, la démonstration de son incapacité à retrouver sa rentabilité ante-COVID. Dans 3 à 4 ans, elle devrait rembourser jusqu’à 25% du CA de 2019, en espérant que l’Ebitda normatif généré pendant cette période de franchise puisse permettre le paiement de la dette COVID sans risque d’instabilité financière.
En cas d’amortissement linéaire, le remboursement correspondrait à 5% (sur 5 ans) ou 6,25% (sur 4 ans) du CA 2019, quel que soit le CA effectivement réalisé et la rentabilité réelle de la société.
Dans ce contexte, et au regard de l’obligation de notation annuelle de la contrepartie crédit, son appréciation qualitative sera d’autant plus prégnante qu’elle évoluera dans un secteur impacté par le COVID. En d’autres termes, la capacité du management à établir un BP à réaliser avec un esprit « entrepreneurial » d’une entreprise « startuppeuse » avec un comparatif historique « rompu » sera primordiale à la réalité de son potentiel à recréer rapidement de la valeur, et attirer ainsi des capitaux.
Les délais pour modifier le business model sont d’autant plus courts que la reprise mondiale est forte.
Dans le traitement par l’Intelligence Artificielle (IA) des données financières des contreparties bancaires, les ruptures dues au COVID sont à retraiter par le chargé d’affaires, afin de « corriger » du conjoncturel l’appréciation de la solvabilité de l’entreprise. La liquidité générée par les reports d’échéances fiscales, sociales et bancaires, le recours au chômage partiel et le PGE permettent d’éviter une impasse de trésorerie mais n’obèrent pas le risque de prise en compte d’absence de rentabilité, cette dernière ressortant de la grille d’analyse IA des comptes 2020 (avec, notamment, une alerte baisse de CA).
Les effets de la reprise mondiale et des variations « négatives » de la supply chain sur la variation de BFR de l’entreprise seront constatés avec un effet retard via l’analyse, à compter du dépôt des comptes, des comptes de l’exercice n-1, soit ceux de 2021 au cours 1er semestre 2022 (prenons pour exemple des reports de CA du fait du retard dans la livraison des composites/composants avec une augmentation des stocks de produits semi-finis…).
Dans le même temps, les prises de participation en capital, les emprunts, prêts participatifs ou émissions obligataires souscrits par des institutionnels seront également impactés par la conséquence des effets post-COVID de leurs participations. Du fait de la nécessité d’apprécier la « fair value » de leur participation, certaines dépréciations sont à anticiper, pouvant entrainer, si les montants sont significatifs un risque de dépréciation du titre de participation de l’institutionnel dans les livres de la banque et, par effet domino, un risque financier systémique.
Alors, à la question du comment pouvoir limiter l’éventualité de ce risque systémique, quelques pistes de réflexion peuvent être dessinées, sans qu’aucune ne soit, à date, réellement explorée.
- Sur le plan de l’économie réelle, assurer le soutien des entreprises :
• dans le financement de l’effet supply chain international dans la chaine de valeur afin de retrouver le parallélisme de croissance entre l’augmentation du CA et celui du BFR. Cette solution permet de faire supporter les conséquences, normalement pluri-annuelles, de la perturbation entre l’offre et la demande mondiale par la collectivité. Elle pourrait prendre la forme de (i) subventions spécifiques (remboursables en fonction de critères de « surperformance » par rapport au normatif), ou encore de (ii) soutien pour le maintien de la couverture de l’assurance-crédit, ou de (iii) bonification des soutiens en trésorerie entre partenaires afin de pallier les incidences des perturbations mondiales sur le financement du BFR post-COVID….
• Dans la création de valeur rapide en assurant une accélération de la rentabilité : une réduction des impôts de production (et des charges sociales) dans le cas où les anticipations et les hypothèses du management permettent la réalisation, dans un laps de temps court, d’un Excédent Brut d’Exploitation supérieur à celui de 2019. Cette incitation permet de faire ressortir les « fleurons » pouvant bénéficier des capitaux nécessaires à leur croissance (et revaloriser les participations des institutionnels plus rapidement) .
- Sur le plan de la stabilité financière :
• Les incidences du COVID devraient être prises en compte dans les réglementations « bâloises » pour en éviter les incidences sur la solvabilité des institutions financières. En d’autres termes, le principe du « Bail in/Bail out » pourrait être écarté si la dépréciation de la participation est due majoritairement au COVID et ses effets postérieurs. Pourraient être ainsi définis certains secteurs pour lesquels le report de la durée de détention afin de revenir à une normalisation de l’activité ne serait pas pris en compte pour l’appréciation de la dépréciation de la valeur. Une liste restreinte des secteurs concernés, une note explicative et une validation par les CAC pallieraient les risques de contestation.
• Une pondération des dégradations via les notations automatiques des outils IA pour prendre en compte la qualité du management ou encore le risque sectoriel pourrait permettre de diminuer le coût de l’analyse et l’effet « boule de neige » des volumes non corrigés.
- Sur le plan de la politique économique et fiscale européenne :
• Permettre la couverture de ce besoin nouveau de BFR post- COVID (perturbation avec des délais fournisseurs raccourcis, une croissance des stocks notamment de produits semi-finis induisant un décalage de facturation et d’encaissement…) par une consolidation des ressources longues des entreprises via la mobilisation de l’épargne. En cas de liquidation de la société, les épargnants seraient en droit de déduire l’intégralité de leur investissement de leurs revenus imposables.
• via une politique fiscale et financière au niveau européen incitant aux rapprochements d’entreprises (jumelages). En effet, une réindustrialisation et un regain de compétitivité de l’Europe pourraient voir le jour avec la constitution de stocks tampons et/ou de pôles européens d’excellence. Cela s’accompagnerait d’une harmonisation fiscale (les négociations se déroulent au nivaux mondial avec un taux minimum « acceptable » de 15%). Les discussions européennes pour permettre une harmonisation fiscale (malheureusement toujours adoptée à l’unanimité) avec une approche fiscale sur la notion d’« Etat Marché » (lieu de vente) et non domiciliation (résidence fiscale et établissement stable)1 seraient à adopter rapidement pour faire de l’Europe un marché attractif alors même que nous manquons d’espace géographique et d’industries.
Dans les années 70, « la France n’avait pas de pétrole mais avait des idées », en 2022 ne serait-il pas opportun de rappeler que « l’Europe n’a pas de semi-conducteurs mais elle a de la créativité industrielle », c’est à elle qu’il revient de s’ en donner les moyens.
1/ Voir l’article du Forum Mac Mahon de sept 21 « Souveraineté fiscale des Etat, réalités et perspectives en 2021 »
Marie-Laure TUFFAL QUIDET, Directrice Financements et Restructuration chez Philippe Hottinguer Finance,
Membre de l’ A.R.E et des W.I.R.