Propos recueillis par Olivier CHAMPAGNE
Éric VERSEY, Directeur Exécutif en charge du financement et du réseau chez Bpifrance
Éric, nous allons passer environ une heure ensemble afin que vous nous présentiez les différents champs d’action de Bpifrance auprès des entrepreneurs. Pourriez-vous nous faire un portrait rapide de l’activité dont vous avez la responsabilité au sein de Bpifrance ? Il est important de rappeler en préambule que Bpifrance est soumise aux mêmes obligations que toutes les banques qui doivent reporter à la BCE (ratio de liquidité, de solvabilité…) et pourtant est reconnue pour savoir prendre des risques pour aider les entreprises à trouver les solutions de financement dont elles ont besoin.
Je dirige les équipes du Financement et du Réseau, qui couvrent les cinquante implantations de Bpifrance en France et en Outre-Mer, avec une direction dédiée de deux mille collaborateurs. C’est donc un maillage très complet de l’hexagone et des territoires d’Outre-Mer qui donne à cette activité la capacité d’être une source d’observation importante avec une prise directe sur le terrain.
Nicolas Dufourcq, Directeur général de Bpifrance, avait publié un ouvrage en 2022 sur La désindustrialisation de la France entre 1995 et 2015, marquant ainsi l’une des préoccupations de l’établissement qu’il dirige. Quelles sont les ambitions de Bpifrance en matière de réindustrialisation de la France ?
Pour Bpifrance, le sujet de la réindustrialisation doit se traduire notamment par le renforcement de notre souveraineté, de notre employabilité et permettre un renforcement de nos exportations.
Aujourd’hui, le poids de l’industrie en France représente moins de 10% du PIB. Notre ambition est de pouvoir accompagner la croissance de ce ratio à 12% du PIB ce qui correspondrait à un rééquilibrage de la balance commerciale. Cela peut sembler peu ambitieux mais en fait cette croissance de 2% équivaut à multiplier par trois la création de valeur ajoutée ; nous passerions ainsi d’environ 1,8% de la contribution de l’ensemble de l’industrie dans la valeur ajoutée globale à 5,5%. Passer à 12% du PIB c’est aussi accroître le besoin de financement de 230 Md€. En Chine ce taux est actuellement de 40% (*note de la rédaction : ce qui explique que la Chine soit surnommée l’atelier du monde).
Nous estimons que cet effort devra se répartir à hauteur de 70% dans la modernisation de l’outil industriel existant, sa décarbonation et son innovation et 30% dans la création de start-up industrielles et de grandes cathédrales industrielles.
Pour cela nous avons l’ambition de passer notre taux d’empreinte (pourcentage de PME industrielles clientes de Bpifrance) de 40% à 60% à horizon 2030. C’est ce qu’on a appelé chez nous le plan conquête, lancé en 2024
Dans le cadre de cette stratégie, avez-vous ou aurez-vous une approche sectorielle ?
Traditionnellement Bpifrance œuvre sur l’ensemble des secteurs de l’économie française (à l’exception de certains sur lesquels nous n’opérons pas comme le tabac par exemple), avec un soutien important sur l’industrie manufacturière. Compte tenu des actualités, il est certain que nous nous positionnerons aussi sur les entreprises liées à l’industrie de la Défense sans que cela ne devienne l’unique secteur à accompagner
Est-ce une ambition partagée par tous ? Gouvernement, décideurs, entrepreneurs et les Français eux-mêmes ?
La réindustrialisation de la France est une priorité pour Bpifrance, mais c’est aussi une ambition partagée par l’ensemble des parties prenantes. Nous travaillons de manière permanente avec les grandes fédérations industrielles ou des associations professionnelles telles que l’UIMM (Union des Industries et Métiers de la Métallurgie) ou le CETIM (Centre technique des Industries Mécaniques) avec la communauté de la French Fab. Nous œuvrons également aux côtés de La Banque des territoires, intégrée comme Bpifrance au sein du Groupe Caisse des dépôts, et qui se concentre sur le financement des infrastructures et est experte sur le foncier. Mais vous avez raison, nous pensons chez Bpifrance que le succès passe aussi par l’embarquement des citoyens à ce projet d’ensemble. Les études territoriales que nous menons régulièrement confirment la forte adhésion locale pour des projets portés par des PMI « à taille humaine ». Les citoyens sont plus réticents concernant les grandes cathédrales industrielles, qu’ils souhaitent plus éloignés de leur habitat. Nous pensons que les deux sont nécessaires et complémentaires.
Bpifrance a un champ d’intervention sur des axes de financement, d’investissement et de conseil, de nature différente : la dette, l’equity, les fonds d’investissement. Pourriez-vous nous en dire plus sur chacun de ces types de financement ?
Nous intervenons sous plusieurs formes :
- Les prêts classiques
- Les prêts sans garantie
- Le financement à court terme
- La garantie
- Les aides à l’innovation
- Le soutien à l’export
- L’equity
- Et enfin, le conseil. Aucune de ces méthodes n’étant exclusive les unes des autres.
Pour les prêts classiques, nous retrouvons bien sûr le crédit-bail mais aussi des prêts à long terme pour le financement d’actifs de l’entreprise (mobiliers et immobiliers) Nous sommes capables également de participer à des crédits structurés, pour des opérations d’ampleur plus importante.
Le financement sans garantie est une originalité de notre établissement car généralement une banque demande toujours une sûreté pour pouvoir accepter d’accompagner une entreprise. Ces prêts peuvent être très longs, jusqu’à 12 ans et sont sans affectation. Ils permettent d’accompagner les besoins immatériels ou l’acquisition d’actifs ayant une faible valeur de gage ou encore à financer les besoins en fonds de roulement. Ces prêts ont une fonction importante puisque finalement ils prennent en charge ce que généralement des banques classiques ne font pas.
Ces prêts peuvent probablement aider à déclencher des prêts classiques auprès d’autres établissements de financement.
Oui, en effet, les banques apprécient ce type d’intervention : nous finançons les besoins immatériels, pendant qu’elles se focalisent sur les opérations avec sûretés réelles. Une façon intelligente de se partager le risque.
Nos financements à court terme couvrent le cycle d’exploitation de l’entreprise (les stocks, les délais de règlement clients). Ce sont des opérations de type Dailly (note de la rédaction : transfert de propriété d’une partie du poste « clients » de l’entreprise à son banquier, en échange d’une ligne de crédit à court terme rémunérée) et depuis 2 ans nous allons même sur du préfinancement, au moment de la signature du bon de commande.
Il s’agit là de l’essentiel de la partie de financement de type bancaire.
Concernant l’activité equity, ou investissement, Bpifrance intervient sur le haut de bilan d’une entreprise qui peut être de toute taille et de tout secteur, des grandes entreprises cotées aux ETI, PME jusqu’aux start-ups, notamment lorsque ces dernières sont dans l’innovation.
Par ailleurs, en matière de soutien à l’innovation, nous proposons différentes solutions : le prêt R&D, le prêt d’amorçage, le Prêt Innovation, le Prêt Nouvelle Industrie etc.
Nous intervenons également en garantie de crédits bancaires en jouant le rôle de l’ex-SOFARIS (note de la rédaction : organisme qui avait été créée pour assurer les risques encourus par les banques ou d’autres organismes). Enfin en matière de soutien à l’export, je peux citer le crédit export (crédit acheteur ou crédit fournisseur), l’assurance prospection, l’assurance export etc. Bpifrance intervient aussi en assurance change. (En cas de contrats signés en devises, ceux-ci sont systématiquement couverts). Voilà nos principales actions en matière de financement mais nous avons également développé un pôle conseil très actif en vue de renforcer notre accompagnement aux PME et ETI, à travers des missions de conseil, de la formation et de la mise en réseau.
Nous donnons ici une dimension humaine à notre soutien à l’économie en offrant aux entreprises une vue à 360°, en les aidant à définir leur stratégie et à revoir leur organisation afin d’accélérer leur développement. Nous allons jusqu’à construire et proposer des plans d’actions qui une fois aboutis peuvent être accompagnés en financement.
Pour être certain de l’efficacité de cette démarche d’accompagnement, nous labelisons les sociétés de conseil qui seront amenées à intervenir auprès des entrepreneurs. L’accès à ces prestations est payant pour les entreprises mais une partie est subventionnée par Bpifrance pour encourager ce type d’accompagnement. Les résultats de ces accompagnements ont prouvé leur efficacité, et ont un impact avéré sur l’économie et l’emploi.
Quelles sont les sources de Bpifrance pour trouver les dossiers de financement ou de participation ?
Ainsi que je vous l’indiquais, nos implantations sur l’ensemble des régions de France et le porte-à-porte de masse réalisé par les équipes auprès des entreprises nous permet de connaître ce qui se passe au cœur des territoires. Nous sommes également co-financeurs ou co-investisseurs avec des acteurs tels que la Banque des territoires et les collectivités qui sont également des sources pour introduire des dossiers de financement puisque nous ne couvrons pas les mêmes aspects d’un dossier, mais sommes complémentaires. Je précise que Bpifrance, lorsqu’elle prend une participation dans une entreprise, n’a pas vocation à être majoritaire d’où le principe de co-investissement, mais demande nécessairement un siège au conseil d’administration afin d’assurer notamment notre rôle de conseil actif. A la différence de la plupart des fonds d’investissement, nous prenons souvent des participations sur des durées assez longues (7 à 8 ans en moyenne) et espérons toujours sortir avec une plus-value qui est la marque d’une forme du succès de nos interventions.
En 2024, Nous avons injecté environ 9 Md€ de liquidité au profit des entreprises industrielles, dont 800 M€ en private equity.
Bpifrance se positionne parmi l’un des investisseurs les plus actifs du capital investissement en Europe, à travers ses investissements directs, ou par l’intermédiaire de son activité fonds de fond (investissement dans des sociétés de gestion, qui elles-mêmes investissent dans des entreprises).
Enfin, Bpifrance entend rendre le marché du non-côté accessible aux particuliers en France à travers sa gamme de fonds «Bpifrance Entreprises», leur permettant à la fois de contribuer au soutien des PME et ETI françaises et européennes et de diversifier leurs solutions d’épargne.
Et quid de l’Europe ? Entreprenez-vous des actions au niveau de l’Europe ? Existe-t-il un équivalent de Bpifrance dans d’autres pays européens ?
II existe beaucoup d’organismes publics ayant un métier unique mais rien d’équivalent réuni sous une même organisation et avec un réseau commercial de proximité. Par ailleurs, nous agissons régulièrement avec la BEI pour trouver de nouvelles poches de financement au bénéfice des entrepreneurs français.
Pourriez-vous, pour conclure notre entretien, évoquez l’engagement réel et fort de Bpifrance dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Bpifrance s’est déclarée clairement sur ce sujet en consacrant 35 Md€ d’ici 2029 à ce que nous avons baptisé le Plan Climat. Nous voulons contribuer à décarboner l’industrie en soutenant des énergies vertes, nous cherchons également à financer des solutions green tech et accompagner les entreprises dans leur transition énergétique. Nous retrouvons pleinement à travers ce Plan, notre vocation de non seulement financer des entreprises à travers des ‘prêts verts’ mais aussi remplir notre mission de conseil en leur proposant notamment des diagnostics et solutions de conseil adaptées.
Éric, il ne me reste plus qu’à vous remercier et à vous donner rendez-vous le 23 septembre prochain pour ‘Big 2025’.
… et pour le ‘Jour E 2026’ qui aura lieu comme tous les ans probablement au mois d’avril, manifestation consacrée à la transition énergétique des entreprises.
Éric VERSEY
Directeur Exécutif en charge du financement et du réseau chez Bpifrance