La finance durable, un atout indispensable à la gestion d’actifs pour identifier les entreprises résilientes

Depuis les années 2000, le marché de l’intégration de critères dits non financiers dans la gestion d’actifs s’est considérablement développé. Initialement, l’idée d’ajouter des dimensions Environnementales, Sociales et de Gouvernance (ESG) à l’analyse financière était une affaire de pionniers défricheurs. Ils avaient au départ rassemblé quelques dizaines de millions d’euros sur une trentaine de fonds à connotation plutôt éthique. Dès 2006, le marché de l’ISR français dépassait déjà les 15 milliards et il a désormais atteint, selon l’AFG, les 1500 milliards d’euros (à la fin 2019).

Cette croissance exceptionnelle est due à deux facteurs majeurs d’accélération. Le premier est la crise financière de 2008 après laquelle les investisseurs ont souhaité obtenir plus de traçabilité et de rationalité sur les choix d’investissement faits par les gérants d’actifs. Le second est la signature de l’Accord de Paris en 2015 qui a fait entrer dans la gestion financière la notion de risques liés aux changements climatiques qui constituent une menace pour la stabilité financière.

Depuis, la construction des produits d’investissement responsable s’est complexifiée. Il s’agit aujourd’hui non seulement de combiner des approches d’exclusions d’activités les plus nuisibles au développement durable (exploitation du charbon, tabac…), mais aussi de sélectionner des entreprises porteuses de solutions (énergies renouvelables, clean tech) et de favoriser la transition de modèles problématiques vers des modèles plus durables dans des secteurs comme l’aéronautique, l’auto, le secteur pétrolier, le textile…. Cela passe entre autres par un engagement actionnarial visant à faire pression sur les entreprises pour réorienter leurs modèles.

Tout cela est possible grâce à l’analyse ESG qui sert de base à la construction des portefeuilles ISR. Elle aussi a considérablement évolué en 20 ans. Elle est un atout essentiel dans cette période de crise pour identifier les entreprises qui vont survivre et se développer, pendant et après la crise du COVID-19. Seules celles qui avaient anticipé parviendront à s’adapter à une transformation radicale et très rapide des modes de production et de consommation, déclenchée par un virus contagieux qui a contaminé toute la planète !

Initialement, l’analyse ESG couvre des centaines de critères. Les notes sont attribuées par des spécialistes à partir des données fournies par les entreprises sur une base rétro active. Or, dans le contexte actuel, il est nécessaire d’obtenir d’elles des données plus stratégiques, plus prospectives permettant aux investisseurs d’évaluer leur capacité de résilience. Il faut pouvoir déterminer si l’entreprise mesure globalement ses impacts, positifs comme négatifs, et si sa stratégie vise à réduire ses impacts négatifs et à maximiser ses impacts positifs. Concrètement, est-elle vraiment capable d’atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire de ne plus émettre de CO2 à la date à laquelle elle s’y est engagée ? De changer sa consommation d’énergie ? Dispose-telle d’une traçabilité totale sur sa chaine de soustraitance pour prévenir des appels au boycott pour violation des droits humains, comme en connaissent actuellement Nike et Apple à cause du recours au travail forcé des Ouighours par leurs sous-traitants chinois ? Depuis 2015, des modèles de notation proposés par de nouveaux acteurs ont changé le paysage, et ce, d’autant plus rapidement que la notation financière converge progressivement vers la notation dite extra-financière. Standard & Poor’s d’abord, et puis Moody’s, travaillent sur une nouvelle approche de la solvabilité à horizon de 5 ans. Que ce soit pour des évènements comme les inondations ou une crise sanitaire comme celle du COVID-19, les menaces de défaillance sont d’autant plus fortes sur les entreprises qu’elles s’endettent toujours plus.

Ces interrogations très concrètes sont celles que posent les épargnants à des conseillers financiers encore peu formés pour leur répondre. Pourtant, il va falloir accélérer là aussi. Dès 2021, plusieurs règlementations européennes entrent en vigueur. Elles prévoient que lesdits conseillers devront interroger leurs clients sur leurs attentes en termes de développement durable et que les fonds qui se réclament de la finance durable produisent des reportings d’impact. Ils devront non seulement évaluer les risques financiers qui pèsent sur les portefeuilles pour des raisons environnementales et sociales mais aussi être capables de communiquer sur les performances environnementales et sociales du fonds comme sur ses caractéristiques financières.

La visibilité et la lisibilité de la finance durable en plein essor reste à améliorer car si les épargnants sont demandeurs (toutes les enquêtes vont dans le même sens), les gérants d’actifs peinent à valoriser leurs démarches face à des fonds exclusivement financiers. La crise du COVID-19 est une réelle opportunité de montrer au plus grand nombre l’utilité d’allier analyse financière, environnementale et sociale. Seules les entreprises qui sont performantes sur ces trois dimensions parviendront à tirer leur épingle du jeu dans une crise planétaire qui ne fait que commencer.

Notes :

1/ Expert de la finance durable et média référence de l’économie responsable, Novethic combine les approches pour offrir aux acteurs financiers, aux entreprises et à leurs collaborateurs les clés d’une transformation durable. Notre mission est de diffuser la culture durable, d’éclairer les prises de décisions et de faciliter l’action. Fondée en 2001, Novethic est une filiale du Groupe Caisse des Dépôts.

Anne-Catherine HUSSON-TRAORE, DG de Novethic - Accélérateur de transformation durable