Hubert Bonin,
Histoire de la Société générale,
tome III, Genève, Droz, 2023

Hubert Bonin, représentant éminent de l’école française d’histoire bancaire, qui étudie les archives des grandes banques françaises depuis plus de 40 ans, a déjà, entre autres, tenté d’élucider les cheminements de l’instabilité et de la stabilité bancaire1, décrit l’évolution du Crédit Agricole2, exploré les relations entre Saint-Gobain et ses banquiers; c’est à présent le troisième tome de sa monumentale Histoire de la Société Générale qui paraît chez Droz, au terme d’une aventure éditoriale de près de 2000 pages à ce jour et de plus de quinze ans, les deux premiers tomes ayant paru respectivement en 20194 et 20065. Après avoir décrit la naissance et le développement d’un établissement qui demeure le seul survivant indépendant des banques de dépôt fondées sous le second empire, l’auteur s’intéresse ici à l’impact de la grande guerre sur la Société Générale, en privilégiant une approche macro-historique.

En huit ans, de 1914 à 1921, la banque connaît un revirement spectaculaire : au bord de la faillite au début de la période, en butte à une sévère crise de liquidités, elle devient en 1919, après la Banque de France, la première banque française pour la taille de son bilan. Cette réussite de la Société Générale est d’autant plus remarquable qu’elle affronte, comme ses consœurs, des difficultés considérables, depuis la mobilisation de nombreux salariés, employés ou directeurs d’agences (compensée par l’embauche de plusieurs milliers de femmes), la perte des agences dans les zones de combat, la suspension des marchés (qui a pour conséquence d’entraver de façon considérable les transactions financières), enfin la perte de toutes ses positions en Russie (où elle était pourtant la banque française la plus investie) – l’auteur cite notamment d’intéressants extraits de correspondances d’employés français expatriés et confrontés à la révolution bolchevique (p. 183-195). 

L’intervention de la banque de France et un moratoire général sur les dettes en 14 l’ont aidée, tout comme les profits générés par les différents emprunts – considérables – de l’Etat français pour la Défense nationale, lequel, pour séduire les épargnants, promet aux souscripteurs des intérêts exonérés d’impôts. C’est le moment, pour la Société Générale, de « l’apprentissage de la communication de masse » (titre du sixième chapitre du volume), dont témoigne la célèbre affiche pour un emprunt national, Pour le suprême effort, à l’automne 1918, qui montre un soldat français étrangler avec énergie et détermination un aigle symbolisant l’ennemi (p. 125). Les banquiers combattants n’ont d’ailleurs pas démérité : la banque comptait 14'000 salariés en 1913 (p. 66) ; au terme du conflit, près de deux milliers ont été récompensés par une médaille, depuis la légion d’honneur (85) jusqu’à la citation à l’ordre du régiment (858) (p. 55). La Société Générale se lance ensuite avec dynamisme dans le financement de l’après-guerre ; comme pour le capitalisme français dans son ensemble, le large réseau d’intérêts et d’alliances dont elle disposait avant le conflit notamment dans les Balkans, en Amérique Latine, ou dans la Méditerranée orientale, s’est toutefois contracté, et se concentre désormais sur la France et ses colonies africaines.

1/ Hubert Bonin. Crises et régulation bancaires. Les cheminements de l’instabilité et de la stabilité bancaires. En hommage à Dominique Lacoue-Labarthe, Genève, Droz, 2015.
2/ Hubert Bonin, Le Crédit agricole (1951-2001). De la banque des campagnes à la banque universelle, Genève, Droz, 2020.
3/ Hubert Bonin, Saint-Gobain et ses banquiers (1914-2000). Les enjeux et méthodes du financement d’une grande entreprise, Genève, Droz, 2020.
4/ Hubert Bonin, Histoire de la Société générale. T. II, 1890-1914 : une grande banque française, 2 volumes, Genève, Droz, 2019.
5/ Hubert Bonin, Histoire de la Société générale. T. I, 1864-1890 : La naissance d’une banque moderne, Genève, Droz, 2006.



 

Charles SENARD, 

Directeur des éditions Droz