La marche en avant du reporting extra-financier

De la loi NRE à la DPEF en passant par l’article 225 de la loi Grenelle 2, le reporting RSE a connu une considérable évolution au cours de ces dernières années. Cela montre, s’il fallait encore s’en convaincre, que la prise en compte de la Responsabilité Sociétale des Entreprises par les différentes parties prenantes s’accentuait et devenait une réelle composante de l’évaluation de la performance des entreprises.

Le levier réglementaire

Avec la loi NRE (Nouvelles Régulations Économiques), la France a été le premier pays à légiférer en matière de rapport RSE. Quelque 700 grandes entreprises françaises cotées devaient dès 2002 faire état des conséquences sociales et environnementales de leurs activités dans leur rapport annuel de gestion.

Le 12 juillet 2010 était promulgué la loi Grenelle II portant sur la mise en œuvre des engagements du Grenelle de l'environnement. Elle comportait son désormais célèbre article 225, relatif à la transparence des entreprises en matière environnementale et sociale. Le 24 avril 2012 était publié son décret d’application. Cette évolution réglementaire marquait un tournant. On passait des démarches de pure communication à des démarches de preuve et de transparence. Ce dispositif a impacté un plus grand nombre d’entreprises (au-delà des seules entreprises cotées, en fonction de seuils et statuts), avec un élargissement des thématiques sur lesquelles reporter et l’obligation de faire vérifier le rapport par un organisme tiers indépendant (OTI).

A compter du 1er août 2017, en vertu de l’ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017 qui modifiait le cadre législatif en matière de publication d’informations extra-financières – afin de l’aligner avec les exigences de la directive RSE n° 2014/95 du 22 octobre 2014 – la Déclaration de performance extra-financière (DPEF) est venue remplacer le dispositif de l’article 225. La notion de « performance extrafinancière » n’est pas un artifice sémantique. Elle correspond à l’évolution de la RSE, d’une responsabilité sociétale plus et mieux intégrée dans les entreprises, vecteur de création de valeur, de performance durable. La DPEF devient un outil de pilotage stratégique de l’entreprise, à la fois concis et accessible, concentré sur les informations significatives.

Les dernières évolutions

Le mois de novembre 2019 aura été riche en publications relatives à la performance extrafinancière. La Plateforme RSE a publié un rapport intitulé « RSE et performance globale : mesures et évaluations, état des lieux des pratiques ». L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a, quant à elle, dévoilé son quatrième rapport sur la RSE. Chacune a formulé plusieurs recommandations en matière de reporting extrafinancier.

L’AMF a consacré son événement annuel « Entretiens 2019 » sur la finance durable. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’ISR, en croissance constante, représentait en France, en 2018, 1 400 milliards d’euros, soit une progression de 40 %. Il représente plus de 14 000 milliards de dollars en Europe et 12 000 aux États-Unis. La communication extra-financière devient primordiale pour les entreprises : c’est sur elle qu’un nombre croissant d’investisseurs vont fonder leur choix d’investissement ou satisfaire à leurs propres obligations de transparence sur leurs engagements. Dans ce contexte, la déclaration de performance extra-financière est bien plus qu’un exercice de conformité, elle devient stratégique !

Pour les entreprises cotées, cette dimension stratégique est une évidence, à l’heure où les analyses extra-financières progressent partout dans le monde. Les acquisitions récentes de Vigeo Eiris par Moody’s et de RobecoSAM par S&P Global sont une preuve complémentaire de la croissance du marché de la notation ESG et des perspectives à venir.

Quant à la Plateforme RSE, elle a recommandé à la Banque de France d’élargir le nombre d’entreprises faisant l’objet d’une analyse extrafinancière dans le cadre de sa cotation et à Bpifrance de prendre en compte les critères ESG dans ses décisions de financement et d’investissement tout en reconduisant l’enquête menée par le Lab Bpifrance sur la RSE dans les PME-ETI.

Communication extra-financière pour les entreprises : les recommandations de la Plateforme RSE

Parmi les 19 recommandations formulées par la Plateforme RSE, six concernent les reporting RSE des entreprises. Le groupe de travail leur conseille ainsi de :

• Etendre et de renforcer l’association des parties prenantes, dont les salariés et leurs représentants, à la définition des indicateurs de mesure de la RSE ;

• Conforter la place des données extrafinancières parmi les données utilisées pour leur pilotage;

• Publier, lorsque c’est possible et pertinent, dans le cadre de leur reporting RSE, des données, filiale par filiale et pays par pays, en précisant les variations des standards, des réglementations et des attentes locales ;

• Publier sous un format exploitable par tous, en open data, leurs données publiques portant sur la RSE ;

• Développer l’identification de l’impact de leurs actions RSE, ainsi que leurs mesures, en particulier dans le contexte de la loi PACTE ;

• Identifier leur contribution aux ODD (Objectifs du développement Durable) fixés par l’agenda 2030 de l’ONU) et à leurs cibles.

Les enjeux identifiés par l’AMF pour une DPEF réussie Le rapport rédigé par l’Autorité des Marchés Financiers fait de son côté un état des lieux des pratiques de place et identifie 12 enjeux pour améliorer les DPEF. Six ont particulièrement attiré notre attention :

• Privilégier la concision en limitant la déclaration aux seuls enjeux jugés matériels pour l’entreprise” ;

• Communiquer sur le périmètre consolidé et s’interroger sur la pertinence d’élargir ce périmètre en fonction du modèle d’activité ;

• Proposer une note méthodologique décrivant le processus de collecte des données extrafinancières, les périmètres retenus en fonction des indicateurs et les méthodes de calcul ;

• Porter une attention particulière au processus d’identification des enjeux et des risques extrafinanciers, en précisant l’horizon de temps dans lequel ces risques potentiels peuvent se matérialiser ;

• Choisir un nombre limité d’indicateurs clés de performance permettant de mesurer le suivi des objectifs et les justifier ;

• Assurer la cohérence d’ensemble entre modèle d’affaires, risques identifiés, politiques mises en place et indicateurs clés de performance.

Que retenir de ces recommandations ?

Ces recommandations et enjeux sont sur la même longueur d’ondes. Et c’est heureux à l’heure des travaux sur la taxonomie européenne. L’AMF insiste davantage sur la notion de matérialité qui engendre la concision. Cette dernière n’a pas été toujours au rendez-vous des premières DPEF. Cette matérialité est à rapprocher de la recommandation de la Plateforme RSE sur la prise en compte des parties prenantes. Ceci pose la question de la robustesse de l’approche méthodologique retenue pour définir les enjeux jugés matériels, à savoir l’analyse de matérialité. Une problématique d’autant plus d’actualité que les entreprises vont devoir, pour leur Document Universel d’Enregistrement, hiérarchiser facteurs de risques financiers et risques extra-financiers.

Les deux organisations sont tout à fait en ligne sur le registre du périmètre retenu et son mode déclaratif.

Les données extra-financières sont au cœur des préconisations des deux organisations. Disponibles, comparables, probantes et pertinentes, intégrées au pilotage de la performance de l’entreprise, circonscrites aux enjeux matériels, exprimées en indicateurs clés de performance, les données doivent être assorties d’objectifs. La pensée intégrée, sans être citée est pourtant induite, avec son mode d’expression, le rapport intégré.

L’AMF insiste sur la cohérence entre le modèle d’affaire, les risques, les politiques identifiées pour les réduire et éviter ainsi que les KPIs pour les piloter. Une recommandation qui devrait engager les entreprises à certainement revisiter leur stratégie RSE si cette dernière ne répond pas totalement aux risques analysés. Une piste d’amélioration qui trouve aussi un écho dans le contexte de la loi Pacte et de la contribution aux ODD, relevés par la Plateforme RSE.

Avec les récentes études publiées sur la meilleure rentabilité des entreprises sociétalement responsables, en Europe comme aux États-Unis, l’engagement dans la création de valeur, dans la transition énergétique, en un mot dans la voie de l’entreprise contributive, constitue aujourd’hui une véritable opportunité de croissance et de pérennité. Dès lors, faire connaître à son écosystème le contenu de sa performance durable, grâce à une communication extrafinancière solide, est bien un enjeu majeur pour les entreprises cotées, les entreprises non cotées assujetties directement ou indirectement au devoir de vigilance.

Bernard FORT, Directeur Général de Tennaxia