Une initiative des investisseurs institutionnels pour mieux prendre en compte le réchauffement climatique dans la gestion d’actifs

En mai 2019, les représentants de dix grands investisseurs institutionnels français1 - huit assureurs, EdF, et la CDC, se réunissaient dans les locaux de la CDC autour d’Olivier Mareuse, Directeur des gestions d’actifs du pôle financier public.

A l’ordre du jour de ce brain storming, la recherche d’idées pour promouvoir ensemble une meilleure prise en compte du réchauffement climatique dans la gestion d’actifs financiers. Car des échanges préalables bilatéraux l’ont montré, beaucoup des institutions présentes autour de la table souhaitent inscrire leur gestion de portefeuilles dans la politique de limitation du réchauffement climatique définie par les accords de Paris – moins de 2° à l’horizon 2050, et toutes sont soucieuses de prémunir leurs bénéficiaires contre les conséquences de ce réchauffement. Mais comment agir ? Plusieurs des institutions, comme la CDC, excluent déjà de leurs portefeuilles les actions d’entreprises qui produisent ou utilisent du charbon thermique, veillent depuis plusieurs années à réduire « l’empreinte carbone » de ces portefeuilles, ou engagent les entreprises sur leur politique d’alignement. Rapidement, un consensus s’établit pour aller plus loin encore. Mais les moyens de le faire restent à définir, en particulier dans le cas des portefeuilles de titres – actions ou obligations- des plus grandes entreprises, dont la diversité d’activités et d’implantations géographiques rend difficile l’évaluation de l’impact climatique.

Après débat, puisque les investisseurs présents ont tous en commun, à des degrés divers, de recourir à des sociétés de gestion pour compte de tiers pour gérer leurs portefeuilles, il est convenu d’interroger ces spécialistes. Et comment mieux le faire qu’en leur demandant, non pas un exercice théorique, mais une offre concrète de gestion ? C’est donc ce qui est décidé : les institutionnels procèderont à un appel d’offre de place, pour sélectionner les gérants de deux fonds d’actions cotées et d’un fonds obligataire qui devront mettre en œuvre des processus de gestion innovants et d’excellence en matière climatique. Les investisseurs s’engageront à rester dans les fonds durant 3 ans, ce qui constituera une expérience en vraie grandeur de la mise en œuvre de ces process. Il sera demandé aux sociétés de gestion une transparence sur les méthodes suffisantes pour que les investisseurs puissent tirer toutes les leçons de l’expérience, comparer les méthodes, et le cas échéant inviter les gérants à les faire évoluer.

Dans les quelques semaines qui suivent, deux nouveaux assureurs2 rejoignent l’initiative tandis que plusieurs institutions lui apportent leur soutien, à commencer par la Fédération Française de l’Assurance (FFA), qui participera pleinement aux travaux ; un cahier des charges détaillé est élaboré à partir des questionnaires communs développés par l’Association Française de la Gestion Financière (AFG) et l’Association Française des Investisseurs Institutionnels (AF2i), en en développant la partie Climat et en l’adaptant au cas de fonds nouveaux. La gestion des fonds visera un couple rendement/risque cohérent avec celui de la classe d’actif recherchée, une qualité de gestion financière conforme aux attentes des investisseurs responsables de long terme, une bonne diversification géographique et sectorielle des portefeuilles ; surtout, elle devra mettre en œuvre des méthodes innovantes de prise en compte du réchauffement climatique dans la gestion d’actif, en visant l’alignement avec les Accords de Paris. Les investisseurs souhaitent également un reporting « Climat » et plus largement ESG très complet sur les fonds. Un large ensemble de questions y sera abordé : empreinte carbone, température de portefeuille, risque physique, politique d’engagement climat… Pour ce projet les participants s’engagent à hauteur de 600 M€ au total. L’appel d’offre, publié en décembre sur le site de l’AFG, mobilise très fortement la place puisque pas moins de 36 sociétés de gestion répondent, soumettant un total de 47 propositions de gestion, toutes fouillées et très fournies. Les approches retenues s’avèrent variées : plusieurs propositions sont indicielles, une majorité est discrétionnaire. Certaines méthodes sont propriétaires, d’autres s’appuient sur des données de fournisseurs spécialisés. Certaines sociétés construisent le portefeuille en s’appuyant sur un indicateur d’alignement unique, d’autres sont multicritères. En matière d’empreinte carbone, le « Scope 3 » est traité de manières diverses.

Le travail de dépouillement et sélection des offres, effectué conjointement par les investisseurs, est donc considérable. Les investisseurs se font conseiller par trois spécialistes du sujet Finance et Climat : Les professeures Anna Créti (Université Paris Dauphine) et Céline Guivarch’ (ENPC), ainsi que Michel Cardona (de I’Institut de l’Economie pour le Climat). Ils attirent l’attention des investisseurs sur l’attrait, à l’horizon de long terme visé, des méthodes proposant des approches multicritères. Avec leur concours, six propositions de qualité sont sélectionnées pour des auditions qui doivent se dérouler en mars. Le Covid contraint à reporter cet « oral », et c’est en juin que les heureux élus sont désignés : Sur les actions Amundi, avec une proposition indicielle appuyée sur les travaux du groupe d’expert « Benchmark » de la Commission Européenne et intégrant une forte composante d’engagement des sociétés détenues ; et Sycomore AM, avec une proposition de gestion active fondée sur une adaptation spécifique de leur méthodologie « Net Environnemental Contribution » au cahier des charges ; sur les obligations HSBC GAM avec une approche construite autour de l’analyse du budget carbone d’un individu et d’un score climat propriétaire. Les Sicav, qui seront lancées à l’automne, seront ouvertes aux investisseurs institutionnels qui souhaitent rejoindre l’initiative. Durant toute la vie des Sicav – au moins trois ans- un Comité d’investisseurs doit permettre à ses membres d’observer la mise en œuvre des méthodologies climat retenues et d’échanger avec les gestionnaires sur celles-ci. Avec l’ambition d’appliquer à terme les meilleures idées dans leurs autres portefeuilles.

Notes :

1/ Allianz France, Aviva France, Axa France, BNP Paribas Cardif, Caisse des dépôts, CNP Assurances, EdF, groupe Macif, MAIF et Société Générale Assurances.

2/ Crédit Agricole Assurances et Natixis Assurances.

Laurent DEBORDE, Directeur du pôle Actions et Fonds des Gestions d’Actifs de la Caisse des Dépôts