De l'Open Banking à l'Open Finance :
la Fintech au carrefour des transitions


Parce qu’elles reposent sur des modèles collaboratifs, les offres financières 3.0 sont fondées sur le partage de datas ce qui induit des considérations juridiques mais également technologiques complexes. Tous les segments de la vie humaine sont concernés par la croissance exponentielle et invasive du numérique, puisque tout se passe à l’échelle d’une génération, les “digital natives”. Le succès des technologies digitales est lié à leur grande plasticité. Multiformes, elles impliquent une restructuration de la chaîne de valeur classique dont les segments fonctionnaient en “silo” : les stratégies se doivent d’être cohérentes, coordonnées et convergentes. Vectrice d’un nouveau rapport client/produit, l’expérience utilisateur (UX) recouvre les fonctionnalités développées pour offrir un haut niveau d’ergonomie et faciliter la conversion des utilisateurs.

Dans ce contexte, l’intelligence artificielle est un spectre : tout en bas, elle est capable d’effectuer des tâches simples (calculs arithmétiques) ; tout en haut, elle surperforme le génie de sapiens. Entre ces deux terminaisons, se déploie un éventail de technologies. En quatrevingts ans, la puissance informatique maximale disponible sur Terre a été multipliée par près de 100 millions de milliards. La démocratisation des outils informatiques, l’usage densifié d’internet, le développement des réseaux sociaux, la diversité des applications mobiles, fournissent un terreau particulièrementfertile pour l’IA.

Les Fintechs se sont largement appuyées sur l’IA pour proposer des services automatisés de conseil, de paiement sans contact, de gestion d’actifs, d’aide à la conformité juridique, et d’innombrables autres activités permettant de compresser les coûts et d’élargir l’accès au crédit ou à l’investissement. Dans son domaine, l’asset management, ActiveSeed contribue à une révolution culturelle : « l’ancienne façon de s’asseoir dans une pièce pour choisir des actions, en pensant qu’on est plus intelligent que les autres, ne fonctionne plus. »1

En matière de service, il s’agit làaussi de faire levier sur la Tech pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs : pallier des besoins mal servis et répondre à de nouvelles aspirations transversales (transparence, immédiateté, indépendance, etc). À l’aide d’outils virtuels, les épargnants peuvent sélectionner et orienter leurs investissements, ou optimiser leurs dépenses. Ces modèles «concurrencent les conseillers financiers en délivrant un service tout aussi bon (sinon meilleur) à un prix inférieur ».2 Ils sont opérants à la fois pour la banque, l’assurance et la gestion de valeurs mobilières ; prêts pour des modèles de distribution en B2C comme pour des partenariats en B2B. « Le principal avantage des acteurs traditionnels tient à leur base de clients, à leur capacité à prévoir l’évolution du secteur et à leur connaissance des réglementations existantes. »3 La Fintech introduit de l’agilité dans les process, diversifie le rayonnement commercial, restaure la confiance par sa virginité au profit de l’opérateur classique ; qui se digitalise à moindre frais et se met en conformité avec le rehaussement des exigences RGPD.

Si les régulateurs européen et français parient sur ce type d’alliance commerciale pour renouveler et assainir l’offre financière, celle-ci induit d’importants défis en matière de protection et de sécurité des données, de standards technologiques et réglementaires, et d’investissements. Au-delà de l’agrément octroyé par l’ACPR pour ouvrir l’accès aux données des nouveaux opérateurs, les modèles d’affaires en gestation impliquent l’intervention d’acteurs IT nonfinanciers (tiers certificateur, agence de dev, etc.) eux-mêmes potentiellement localisés hors UE. De plus, dans les faits, la distribution des rôles d’un partenariat financier 3.0 suppose que le développement, la maintenance et l’harmonisation des systèmes d’API incombent davantage au petit-nouveau plutôt qu’à l’institutionnel : en d’autres termes, on fait peser le risque et le coût sur l’acteur innovant et vulnérable plutôt que sur l’opérateur installé en attente de lifting. La puissance publique a tenté de pallier dans une certaine mesure ce déséquilibre (exemple du dispositif CII) sans pouvoir éloigner le double risque actuel de cannibalisation et d’autocensure du secteur Fintech hexagonal ; alors même qu’au Royaume-Uni (initiative du Financial Conduct Authority) ou en Australie (extension du Consumer Data Right), le législateur s’est pleinement emparé du chantier. Le manque de détermination des institutionnels français (en particulier bancaires) se perçoit dans l’accueil glacial réservé à FiDA (Framework for Financial Data Access), initiative phare de la stratégie de finance numérique présentée par la Commission européenne en juin 2023. Leur principale crainte est de voir s’imposer des modèles qui rendent obsolètes leurs offres traditionnelles et les réduisent à la fonction de simple fournisseur de données. De fait, la performance des APIs restera sousoptimisée et potentiellement contreproductive si l’ensemble des opérateurs financiers partie-prenantes ne se mettent pas au diapason par la restructuration de leurs services commerciaux et juridiques autour de la Tech et de ses implications : quel intérêt de programmer l’agrégation, l’interprétation et la circulation d’informations, si en bout de chaîne, elles sont ressaisies à la main sur des tableurs Excel, ou incomprises des professionnels humains ? Dès lors, la menace tendrait à voir se renforcer un marché ségrégué à deux vitesses.


1/ Calvello, A. (2017, 1 mai). With BlackRock’s artificial intelligence pivot, the Rubicon has been crossed. Institutional Investor.
2/ Baker, T., & Dellaert, B. G. C. (2018). Regulating Robo Advice Across the Financial Services Industry. Faculty Scholarship at Penn Carey Law, 1740.



Bastien COLET et Thibaud AMRANE, 

Collaborateurs de la plateforme ActiveSeed, pionnière de l’épargne digitale,
Auteurs de « L’investisseur éclairé » publié aux éditions L’Harmattan, février 2024