Régis de LAROULLIÈRE, Conseil en Stratégie et Gestion des Risques Co-animateur des Forums Mac Mahon
Denis KLEIBER, Co-animateur des Forums Mac Mahon
Les nouvelles relations au travail et la nécessaire adaptation du marché du travail sont dans l’actualité. Elles donnent lieu à de nombreux angles d’analyse.
« Notre marché du travail français est très souvent perçu comme particulièrement inhospitalier : il est difficile d’y entrer et aussi difficile d’y revenir quand on en sort, surtout pour les seniors. Et ceci, alors même que les employeurs affirment avoir du mal à embaucher les compétences dont ils ont besoin, que notre économie marchande ne peut satisfaire de nombreux services utiles ou nécessaires, que de nombreux services publics disent être asphyxiés par le manque de ressources, et que les besoins d’intégration des populations peu qualifiées sont importants », écrivionsnous en substance en introduction d’un précédent article consacré au rôle essentiel de l’éducation et de l’enseignement par rapport au travail.
Dans le présent article, nous retenons un autre angle d’analyse des relations au travail, à savoir l’attractivité du travail au regard des attentes des travailleurs, en poste et potentiels, dans une perspective de moyen/long terme. Par simplification et dans le cadre du présent article, nous retiendrons comme référentiel des attentes la typologie des besoins exprimée dans celui de Maslow et de sa pyramide.
Les travaux de Maslow s’inscrivent dans le cadre de la théorie de la motivation. Maslow met au jour derrière les motivations cinq groupes de besoins fondamentaux, qu’il hiérarchise. Cette théorie est encore largement utilisée, notamment dans les formations au management. Si l’aspect hiérarchisé de ces besoins est aujourd’hui contesté, les regroupements sur lesquels elle se fonde n’en demeurent pas moins intéressants. Ces cinq groupes sont les suivants (voir illustration page suivante) : les besoins physiologiques et le besoin de sécurité, souvent qualifiés de besoins vitaux, le besoin d’appartenance et le besoin d’estime, souvent qualifiés de besoins psychologiques, et le besoin de s’accomplir, ou besoin d’épanouissement.
Ces besoins ne trouvent pas leur satisfaction que dans le travail, mais le travail contribue à y répondre. Aussi analyser l’évolution de ces besoins peut contribuer à expliquer l’évolution passée, et les évolutions possibles, dans les attitudes face au travail.
Les besoins physiologiques sont manifestement de mieux en mieux couverts. Nos économies occidentales ont connu depuis la seconde guerre mondiale une croissance historiquement exceptionnelle, soutenue par le progrès technique, l’utilisation massive des énergies fossiles peu chères, le passage sur le marché du travail de l’éléphant démographique que constituent les générations nombreuses du baby-boom, et plus récemment les bénéfices de la mondialisation. La nécessité de travailler dur ou beaucoup pour couvrir ses besoins physiologiques a quasiment disparu.
Le besoin de sécurité a également été globalement de mieux en mieux couvert. 75 années de paix en Europe comme la protection sociale étendue apportée par l’Etat providence ont eu un rôle essentiel. Le risque de chômage, qui a longtemps été une source majeure d’inquiétude économique et sociale, s’estompe avec le passage à la retraite de l’éléphant démographique des boomers et la baisse du chômage.
Les trois autres groupes de besoins (d’appartenance, d’estime, et de s’accomplir) ont logiquement pris davantage d’importance. Il peut y être répondu par le travail (par exemple la recherche de sens, à laquelle les entreprises s’efforcent de répondre en explicitant leur raison d’être ou leur mission), mais aussi en dehors du travail (alors perçu comme moins attractif). A cet égard, l’appel déjà ancien de la CFDT de s’intéresser davantage au travail et à ce qui fait la motivation des travailleurs, nous semble essentiel.
C’est, nous semble-t-il, également un enjeu essentiel pour les employeurs. Les employeurs privés, exposés à la concurrence, n’auront d’autre choix que de s’adapter progressivement, ou de disparaître au bénéfice de leurs concurrents. Les employeurs publics, qui constatent dès à présent les difficultés qu’ils rencontrent à recruter, risquent de se focaliser sur les enjeux de rémunération, à une époque où l’aisance financière a disparu avec des capacités d’emprunt qui semblent atteindre le seuil d’inquiétude des prêteurs. Il y a, nous semble-t-il, urgence à ce qu’ils s’intéressent davantage aux autres facteurs de motivation.
De façon globale, il faut à nos yeux s’attendre durablement à une insatisfaction croissante de nos besoins économiques, dont attestent dès à présent les revendications pressantes en matière de pouvoir
d’achat.
A rebours de ce que nous avons vécu au cours des dernières décennies, la productivité augmente de moins en moins, voire stagne et même décroît récemment, les énergies fossiles peu chères sont progressivement remplacées par des énergies renouvelables nécessitant davantage de travail pour être produites, les générations nombreuses du babyboom quittent le marché du travail, le taux d’activité des femmes n’augmentera plus significativement, la démondialisation est amorcée. En même temps, le passage à la retraite des générations nombreuses du baby-boom augmente les besoins de consommation, accrus par le vieillissement de la population tout particulièrement pour la santé et les services à la personne.
A plus long terme, la baisse de la natalité et de la fécondité en dessous des seuils de reproduction, que nous constatons depuis une décennie, va augmenter la pénurie de travail pour faire face à nos besoins. Et l’épuisement de notre capacité d’endettement additionnel va augmenter la pression à travailler collectivement davantage pour subvenir à nos besoins collectifs, et très probablement à plus court terme à réduire notre consommation et à ramener notre niveau de vie collectif à ce que nous sommes en capacité de produire et de financer en l’état de nos niveaux d’activité.
La baisse de notre niveau de vie nous rendra-t-elle moins heureux ? De façon contre-intuitive, nous proposons de répondre que ce n’est pas certain, en nous référant au paradoxe d’Aesterlin (voir dans la « Chronique littéraire » de ce Magazine la note de lecture de l’ouvrage de Claudia Senik). Selon ce paradoxe, l’élévation progressive de notre niveau de vie au fil du temps n’a pas amélioré notre bonheur, à l’inverse du constat selon lequel le bonheur des individus est plus élevé quand progresse leur richesse relative, en d’autres termes quand s’améliore leur position dans l’échelle de la richesse. Dans cette approche, la baisse de notre niveau de vie, pour autant qu’elle soit équitablement répartie, n’affectera pas notre niveau de bonheur.
Mais, en référence à cette même théorie, ce qui vaut à l’échelle nationale vaut aussi à l’échelle internationale : notre déclin constaté dans les comparaisons internationales est de nature à entraîner la diminution de notre bonheur.
Est-ce inéluctable ? Si l’on considère, comme le font les Forums Mac Mahon, que notre régression dans les comparaisons internationales est largement due à notre insuffisance de travail par rapport à nos comparables, combler cet écart pourraitêtre la meilleure clé d’un plus grand bonheur …
Régis de LAROULLIÈRE
Conseil en Stratégie et Gestion des Risques Co-animateur des Forums Mac Mahon
Denis KLEIBER
Co-animateur des Forums Mac Mahon