La réalité plurielle des entreprises zombies

Éric SÉVERIN, Professeur des Universités, IAE de Lille,  Université de Lille

David VEGANZONES, Associate Professor, OMNES Education, ESCE International Business School


Les entreprises zombies

Des entreprises peuvent être considérées comme entreprises zombies parce qu’elles ne sont ni totalement vivantes (insolvables) ni officiellement mortes (faillites et liquidées). Ainsi, les entreprises zombies sont des entreprises qui auraient dû disparaître du marché parce qu’elles ont perdu leur viabilité économique, mais qui continuent à fonctionner. Elles se caractérisent principalement par : des difficultés à payer les intérêts de leur dette, des niveaux d’endettement extrêmes, un manque d’efficacité et des problèmes à générer des flux de trésorerie. Selon le rapport du FMI, les entreprises zombies représentent plus de 10 % de toutes les entreprises cotées en bourse en 2022 et 5,3 % de toutes les entreprises privées en 2021.1


Lorsqu’un marché et/ou un secteur est congestionné par ces entreprises zombies, les possibilités de développement des entreprises saines sont limitées, car les entreprises zombies accaparent les ressources productives et financières et font obstacle aux changements innovants (Geng et al., 2021). Par conséquent, d’un point de vue économique, la présence d’entreprises zombies devrait impacter négativement la productivité de l’économie. Selon des estimations de la Banque des règlements internationaux (BRI), lorsque la part de firmes zombies dans une économie augmente de 1%, la croissance de la productivité diminue d’environ 0,3 point de pourcentage (Banerjee et Hofmann, 2018). Cela signifie qu’il est souhaitable que les entreprises zombies disparaissent du marché afin que de nouvelles entreprises puissent renaître à leur place. Cette idée est dans la ligne de la destruction créatrice de Schumpeter (1942).


Toutefois, cela pose deux problèmes. Tout d’abord, l’identification des entreprises zombies. Il existe un certain consensus parmi les chercheurs pour considérer qu’une entreprise peut être qualifiée lorsqu’elle n’est pas en mesure de payer les charges d’intérêts au moyen de sa performance économique (en d’autres termes que son ratio charges d’intérêts/EBE est inférieur à 1) pendant trois années consécutives. Après avoir résolu le problème de l’identification des entreprises zombies, la question qui se pose maintenant est de savoir quelles entreprises zombies doivent disparaître définitivement. Si toutes devaient disparaître, le coût social serait sans doute très (trop) important au regard de la perte d’emplois de milliers de personnes. Si, à l’autre bout du spectre, on garde artificiellement en vie des entreprises zombies, le coût économique risque là aussi d’être insupportable pour la société dans son ensemble. Alors, comment résoudre ce problème ?

Visualiser les profils des entreprises zombies


Pour répondre à cette question, il faut essayer de mieux comprendre les différents profils financiers des entreprises zombies. La capacité de les distinguer permettrait d’évaluer le risque qu’elles portent et qu’elles peuvent transmettre. Grâce aux méthodes d’intelligence artificielle, en particulier les réseaux de neurones (NN), cette tâche peut être réalisée. Les NN regroupent les entreprises zombies en fonction de la similitude de leur situation financière (clusters), ce qui permet de distinguer différents profils (Veganzones et Séverin, 2024).


Notre analyse révèle trois groupes d’entreprises zombies. Le groupe 1 regroupe les entreprises les plus en difficulté dans lequel se trouvent les entreprises zombies extrêmes, car elles sont lourdement endettées et souffrent de capitaux propres négatifs en raison des pertes financières accumulées sur plusieurs années. Ces entreprises connaissent une détresse financière profonde et continue qui les mènent à l’état de zombie. Leur santé financière très dégradée alliée à des capitaux propres négatifs indiquent une situation irrémédiablement compromise et l’impossibilité d’un rétablissement. Ce groupe d’entreprises zombie constitue une menace majeure pour l’économie, car en cas de faillite, elles ne seront pas en mesure de faire face à leurs obligations envers les créanciers. Il serait approprié donc de prolonger le délai de leur sortie du marché pour atténuer l’effet de contagion économique et donner aux autres acteurs concernés le temps de provisionner leurs pertes.


Dans le groupe 2, les entreprises zombies sont dans un état de stagnation. Elles sont certes en difficulté et sont caractérisées par une rentabilité faible (voire nulle) alliée à des problèmes d’insolvabilité. Pour autant, elles possèdent encore suffisamment d’actifs pour couvrir toutes leurs dettes. La situation financière de ces entreprises continue de se détériorer à mesure qu’elles se rapprochent du statut de d’extrême zombie. À cet égard, il pourrait être préférable d’anticiper une faillite précoce, afin d’éviter d’accroître le risque jusqu’à ce que la « bulle » soit si importante que la liquidation affecte les agents concernés et l’économie dans son ensemble.


Le groupe 3 est composé d’entreprises aux premiers stades de la zombification. Elles connaissent des problèmes de solvabilité et de rentabilité, mais conservent une structure financière relativement solide et de faibles niveaux d’endettement. Étant donné que certains signes de reprise existent, leur situation pourrait être réversible si elles retrouvent le chemin de la performance économique. La solution optimale pourrait être un soutien ciblé, de telle sorte que les ressources financières ne soient disponibles que sous réserve de la capacité de l’entreprise à générer des performances positives.


Conclusion


Dans l’ensemble, nous constatons que les entreprises zombies présentent des profils financiers divers, allant de niveaux extrêmes de zombification à des problèmes de solvabilité modérés. Les autorités compétentes doivent prendre les décisions d’action appropriées pour chaque groupe afin d’équilibrer les effets économiques et sociaux.

Bibliographie


Banerjee R., B. Hofmann B. 2018. The rise of zombie firms: causes and consequences. Working paper, BRI, 12p.


Geng Y., Liu W., Wu Y. 2021. How do zombie firms affect China’s industrial upgrading, Economic Modelling, vol 97, April, p. 79-94


Schumpeter J. 1942. Capitalism, Socialism and Democracy, New York Harper.


Veganzones D., Séverin E. 2024. Identification and visualisation of zombie firms using self-organising maps, Annals of Operation Research, August, https://doi.org/10.1007/s10479-024-06215-x


Éric SÉVERIN

Professeur des Universités, IAE de Lille,  Université de Lille

David VEGANZONES

Associate Professor, OMNES Education, ESCE International Business School