David TALERMAN, Coach Emploi et Fondateur de Expatwire
Il n’y a pas eu de révolution de l’IA ces dernières années, mais plutôt une révolution de l’utilisation de l’IA. ChatGPT, la plus célèbre des IA génératives, a clairement ouvert la porte de l’intelligence artificielle au grand public, avec une interface simple et une utilisation très intuitive.
La réalité, c’est que l’IA était déjà un peu partout dans nos vies depuis plusieurs années, et notamment dans des outils que nous utilisons quotidiennement (le téléphone mobile, la voiture…). Quoi qu’il en soit, le grand public et les professionnels ont rapidement compris l’intérêt de ces outils qui peuvent être utilisés dans beaucoup de domaines : la rédaction, l’analyse de documents, le conseil etc.
Mais en même temps que ces apports, sont rapidement apparus les limites. J’en note deux principalement dans le contexte de la recherche d’emploi et du recrutement : l’incapacité à juger le résultat d’un sujet qu’on ne maîtrise pas, et donc d’une part l’illusion d’un travail de qualité, et d’autre part l’automatisation des processus de recrutement et la lente déshumanisation avec en point d’orgue le risque de biais de sélection. Regardons poste par poste ce qu’il faut en penser.
L’essor des outils de création de CV et de lettres de motivation
La rédaction d’un CV et d’une lettre demotivation est en général une étape anxiogène pour les chercheurs d’emploi car la rédaction de ces documents nécessite des compétences analytiques et rédactionnelles que tout le monde ne possède pas. Désormais, des outils comme ChatGPT facilitent ces tâches.
Mais comme souvent, la limite est humaine : la qualité des documents et surtout leur personnalisation, à la fois du contenu et par rapport à une éventuelle annonce, dépendent principalement de la qualité des consignes (le prompt) saisies par le candidat. Il est en effet illusoire de croire que la machine rédigera un document parfaitement adapté à la situation du candidat si ce dernier n’a pas donné un maximum de contexte et d’instructions.
Le risque ici pour le candidat est d’avoir l’illusion d’un document de qualité, alors même que de l’autre côté du miroir, les recruteurs se plaignent massivement de la faible qualité de ces documents, par ailleurs souvent identiques car issus de prompts peu travaillés et peu qualitatifs.
Multiplier les opportunités d’emploi grâce aux algorithmes
Les plateformes de recherche d’emploi ont aussi pris un tournant grâce à l’IA. Des sites comme LinkedIn et Indeed utilisent des algorithmes qui font le lien entre les profils des candidats et les offres d’emploi. Par l’analyse des données des profils (on parle alors d’analyse sémantique), l’IA peut alors déclencher l’envoi d’une information aux candidats, soit à travers le flux d’actualité dans Linkedin, soit par une alerte email. Là aussi, l’efficacité n’est optimale que dans le cadre d’une intervention du candidat : si le profil du candidat n’est pas assez renseigné, l’IA ne pourra pas travailler correctement.
Accompagnement par les chatbots et coachs virtuels
Les outils de coaching virtuel pour la recherche d’emploi se multiplient et permettent notamment de simuler des entretiens de recrutement. Certains sont généralistes, comme l’excellent Huru, d’autres sont plus spécifiques, « interview warmup », développé par Google pour les profils IT en est un exemple. Ces outils permettent aux candidats de mieux se préparer, mais aussi de surmonter l’anxiété liée aux entretiens. L’IA offre un retour immédiat sur la présentation du candidat, identifiant les points d’amélioration, sur le fond et parfois même la forme. Certains de ces outils ont besoin de peu d’informations sur les candidats ce qui les rend particulièrement efficaces et peu « invasifs ».
Sublimer son personal branding grâce à l’IA
Un recruteur mettra 1/10 de seconde à se faire une idée d’un candidat qu’il ne connait pas sur la base de sa photo de CV ou de profil. Donc autant l’affirmer : l’image, ça compte ! L’IA met à disposition aujourd’hui des outils qui permettent de générer des photos de qualité professionnelle. C’est par exemple le cas d’Aragon.ai. Avec un faible coût et des résultats plutôt de bonne qualité, ces outils sont en bonne position pour remplacer les photographes, pas toujours à proximité des candidats et souvent beaucoup plus onéreux.
Améliorer son efficacité par l’analyse des documents existants
Avec un prompt de bonne facture et bien maîtrisé, il est assez facile de demander à ChatGPT, Claude 2 ou Mistral d’améliorer l’efficacité du résumé de son CV ou de son profil Linkedin. Dans ce contexte, l’IA agit comme un coach qui va conseiller le candidat. Là encore l’enjeu réside dans la qualité des instructions demandées et dans le contexte fourni.
Pré-sélection automatisée : Gain de temps ou biais amplifié ?
Le recrutement est une activité qui prend du temps. Depuis plusieurs années, des systèmes de suivi des candidatures (ATS ou Applicant Tracking System) trient les CV selon des mots-clés spécifiques qu’ils repèrent dans les documents ou les données saisies par les utilisateurs.
Ces outils vont devenir de plus en plus sophistiqués grâce à l’IA. Ils seront bientôt capables de comprendre le contexte et d’évaluer les qualifications avec une précision accrue. Cependant, les ATS n’échappent pas aux controverses. Si l’IA permet de gérer un volume de candidatures important, elle peut aussi amplifier des biais inhérents à l’entrainement de l’algorithme. Par exemple, certains profils peuvent être systématiquement exclus, indépendamment de leur potentiel ou de leur intérêt pour l’entreprise. Ce phénomène est illustré par l’affaire du modèle d’IA développé par Amazon en 2014 pour ses recrutements, modèle qui écartait les candidatures féminines.
Ce risque est inhérent à la nature même de l’IA, qui s’alimente de données et qui s’appuie sur des probabilités pour établir ses règles de sélection. Si les données sont biaisées, le modèle a toutes les chances de l’être également. Ce biais est probablement le plus gros risque encouru par les sociétés qui confiront une part trop importante de la sélection de leurs candidatures à l’IA. Il est amplifié par le volume de candidature que ces entreprises doivent traiter : plus ce volume est important, plus la probabilité de confier la qualification de ces candidatures est important, plus le biais l’est.
L’analyse prédictive pour mieux évaluer les soft skills
L’un des apports intéressants de l’IA pour le recrutement est l’analyse des soft skills. Aujourd’hui, des outils peuvent évaluer les compétences comportementales des candidats, en se basant sur leurs réponses ou leur activité en ligne. Cette capacité à détecter des traits de personnalité est potentiellement déterminante pour des postes qui demandent des compétences interpersonnelles. L’IA, en réduisant la subjectivité humaine, aide à évaluer l’adéquation culturelle des candidats. Mais là aussi il est important de s’assurer que les biais sont restreints.
Entretiens assistés par IA : Neutralité ou déshumanisation ?
Les entretiens vidéo assistés par IA sont de plus en plus fréquents. Sans intervention humaine, ils permettent d’effectuer un premier tri. L’IA analyse les expressions faciales, le langage corporel et les mots utilisés pour évaluer la sincérité, la confiance ou l’engagement d’un candidat. De plus en plus d’entreprises – en particulier les multinationales - utilisent ces technologies pour évaluer les candidats. Une question de fond subsiste toutefois : est-il possible d’évaluer efficacement un candidat dans un tel contexte ?
Quoi qu’il en soit, les candidats, passé l’effet de surprise, sont globalement assez critiques quant à l’utilisation de cette approche, qu’ils jugent parfois déshumanisante. Et cette approche n’est probablement pas le meilleur facteur pour établir une relation de confiance entre les candidats et le recruteur.
Plus de données, plus d’opportunités, mais aussi plus de surveillance
Une IA efficace, c’est une IA qui entraîne une collecte massive de données. Les plateformes, ATS et même les réseaux sociaux comme Linkedin accumulent des informations sur les candidats. Cette collecte permet de mieux cibler les offres, mais soulève des questions sur la confidentialité et la gestion des données personnelles. Les données sont utilisées pour proposer des recommandations plus personnalisées, mais mal utilisées, elles peuvent donner lieu à des dérives que les différents législateurs sont en train d’analyser pour mieux les encadrer.
Les biais algorithmiques : le piège de l’atavisme
Les algorithmes de demain, en reproduisant les préjugés présents dans les données d’entraînement, pourraient amplifier ces biais. Par exemple, un ATS avec un contrôle humain réduit pourrait privilégier des profils semblables à ceux des employés actuels, réduisant ainsi la diversité. L’avenir de l’IA dans le recrutement passe par la création d’outils capables d’évaluer les compétences sans les biais des données d’origine.
Recrutement à distance et exclusion
L’IA a joué un rôle clé dans la généralisation des entretiens vidéo. Le recrutement à distance est de plus en plus utilisé, et l’IA permet d’évaluer de façon cohérente des candidats du monde entier. Cela a eu un impact positif sur l’inclusivité, en élargissant l’accès aux talents. Cependant, les candidats moins à l’aise avec la technologie ou ceux pour qui les entretiens vidéo sont un désavantage peuvent se sentir exclus. Trouver l’équilibre entre inclusion et technologie reste donc un défi crucial.
Conclusion
L’IA a transformé la recherche d’emploi et le recrutement, offrant de nouveaux outils tant aux candidats qu’aux recruteurs. Mais cette transformation soulève aussi de nombreux défis à surmonter, qu’ils soient éthiques, légaux ou techniques. Les technologies d’IA vont continuer à évoluer. Comme pour tous les autres domaines, il est indispensable que leur utilisation soit supervisée par une action humaine. Il en va de leur efficacité et mais aussi de leur capacité à minimiser les biais.
David TALERMAN
Coach Emploi et Fondateur de Expatwire