Logement : quel avenir pour le secteur locatif privé ?


La construction de logements neufs, sous l’effet principalement de la hausse des taux d’intérêt, est sévèrement affectée. Le marché de l’immobilier est en crise. Les transactions en sont fortement impactées, de même que les recettes des collectivités publiques, auxquelles l’immobilier apporte une contribution très importante (voir note des Forums Mac Mahon sur la contribution avant crise1). 


Le retournement espéré de l’évolution des taux d’intérêt suffira-t-il à rétablir la situation ? Nous explorons dans le présent article les raisons pour lesquelles la réponse nous semble devoir être négative, du moins pour le secteur locatif privé sur lequel nous concentrons notre analyse, ce qui nous conduit à recommander dès à présent des mesures d’accompagnement.

1 - Le parc locatif privé est un élément essentiel du parc de résidences principales en France

Le parc immobilier résidentiel métropolitain français comptait 30,2 millions de résidences principales en janvier 2023. 40,2% relèvent du parc locatif, dont 22,6% pour les locataires du parc privé (+0,8% de 2003 à 2023)2 . Voir tableau.



Parmi les bailleurs privés, les investisseurs institutionnels ont progressivement disparu. Ils représentaient encore 15% du parc locatif privé en 1990. Ils ne sont plus aujourd’hui que de l’ordre de 2%3. Découragés par la faible rentabilité de ces investissements et les droits conférés aux occupants par la loi, ainsi que de facto par la jurisprudence et l’attitude des pouvoirs publics lors des expulsions ou face aux squatters, ils ont cessé d’investir dans ce secteur et ont progressivement revendu leurs patrimoines historiques.


Les bailleurs privés (13% des ménages) vont-ils à leur tour progressivement se désengager de l’investissement locatif privé, ne laissant aux ménages le choix qu’entre la propriété de leur logement ou le locatif social, et reportant sur les collectivités publiques la contrainte de financement d’un plus large parc locatif social et par la force des choses progressivement également non social ?


2 - De nombreux facteurs poussent à l'attrition du parc locatif privé


Huit séries de facteurs nous semblent pousser au déclin de l’offre dans l’habitat locatif privé :


Quatre séries de facteurs relèvent du renchérissement des coûts. A l’oeuvre depuis longtemps, ils connaissent une intensification récente :


• La raréfaction de l’offre foncière, pour des raisons physiques (ex : extension des zones non constructibles parce que submersibles ou inondables, notamment du fait du changement climatique)


• La raréfaction de l’offre foncière pour des raisons réglementaires (zéro artificialisation nette en dernier lieu)


• L’augmentation des coûts de construction, pour des raisons physiques (risque de retrait-gonflement des argiles sur près de la moitié du territoire constructible)


• L’augmentation des coûts de construction ou de rénovation pour des raisons réglementaires (normes d’habitabilité, dont à présent normes thermiques).


Trois séries de facteurs relèvent de la limitation des recettes :


• Le plafonnement des loyers. S’il y a, à court terme, un effet social positif sur l’accessibilité du parc existant, en résulte un effet mécanique de baisse de la rentabilité économique, et de raréfaction
de l’offre à moyen terme, préjudiciable aux candidats à la location


• Les réglementations visant à limiter l’augmentation des loyers, qui ont progressivement le même effet


• L’augmentation des charges fiscales, qui réduisent la rentabilité nette, point que nous développerons plus loin.


Huitième facteur, la stigmatisation de la rente.


• La rente est pour le Robert « le revenu périodique tiré d’un bien, d’un capital ». Pour le Centre National Des ressources Textuelles et Lexicales, c’est plus largement et plus explicitement « un revenu périodique, à l’exception de celui du travail ». Dénigrer la rente revient à valoriser le travail, ce dont nous avons grand besoin. Mais c’est aussi stigmatiser la source de la rente, c’est-à-dire la détention du capital, alors que nous en avons également grand besoin : le capital et les investissements qui permettent de le constituer font la productivité du travail et son amélioration. C’est un facteur clé de l’évolution du pouvoir d’achat et du niveau de vie. C’est également indispensable à la décarbonation de notre économie et à la réindustrialisation de notre pays, au rattrapage de son retard dans la Tech, etc. Le capital permet aussi de financer l’immobilier d’exploitation et l’immobilier locatif. Or la rente est particulièrement dénigrée dans le discours public, et plus particulièrement la rente immobilière lors du remplacement de l’ISF par l’IFI. A l’époque des réseaux sociaux et du « name and shame », c’est loin d’être indifférent sur les comportements.


3 - La rentabilité même des investissements immobiliers n’est plus assurée


Nous renvoyons le lecteur à la note des Forums Mac Mahon sur le sujet4. En synthèse, pour les ménages aisés, la rentabilité n’est pas au rendez-vous. Selon l’INSEE5, 50% des logements en location sont détenus par des ménages possédant au moins 5 logements (environ 1 million de ménages). Ce nombre se compare à 176.0000 redevables de l’Impôt sur la Fortune Immobilière. S’ils sont « aisés », ils ne sont pas tous « fortunés ». Pour les 82% qui ne sont donc pas soumis à l’IFI, l’opération n’est souvent pas rentable en tenant compte des travaux ou de l’amortissement. Et si l’on ajoute 20% de droits de succession tous les 30 ans, l’opération est franchement déficitaire. Pour les 18% soumis à l’IFI, la prise en compte de cette charge additionnelle conduit à perdre de l’argent tous les ans, et bien davantage encore en prenant en compte les droits de succession. Qu’en est-il pour les ménages plus modestes ? 62% des bailleurs (2,4 millions de ménages) détiennent un seul bien loué, ce qui représente environ 1/3 du parc locatif privé. Un bien a une surface moyenne de 66 m2, c’est pour 67% un studio ou un deux pièces. C’est souvent un complément de revenus bien nécessaire pour la retraite, notamment pour des commerçants, artisans ou indépendants. Si des contraintes réglementaires viennent à leur imposer des travaux (c’est le cas des biens classifiés passoire thermique par exemple), la vente s’impose souvent, dans de mauvaises conditions vu l’état du bien, et plus encore à présent avec la hausse des taux d’intérêt qui réduit la solvabilité des acheteurs.


4 - Que peut-il se passer si la situation reste en l’état ?

• Une partie du parc viendra inexorablement augmenter les 3,1 millions de logements vacants, dont le nombre augmente plus vite que celui du total de logements depuis 2006

• Une partie du parc locatif sera vendue à des accédants à la propriété, d’autant plus importante que les prix des biens concernés baisseront sensiblement.

- D’un côté, cela augmentera la proportion des ménages détenteurs de leur résidence principale, qui stagnait depuis 2010

- D’un autre côté, cela réduira la part de l’habitat locatif privé dans notre économie. Il en résultera un report d’une partie de la demande vers le parc locatif social, dont ce n’est pas la clientèle cible, mettant les collectivités publiques sous pression pour trouver des solutions

• Mais surtout, ce sera un frein important à la mobilité géographique de la main d’oeuvre qui ne relève pas de l’habitat social, et qui ne pourra accepter un emploi avec mobilité faute des moyens d’acheter, ou d’attendre une place dans le secteur locatif social pour autant qu’elle y ait droit, alors même que la résorption du chômage ne pourra se faire sans d’importantes mobilités géographiques.


5 - Propositions


Plusieurs voies nous semblent devoir être privilégiées, visant à redonner un attrait suffisant à l’investissement dans le logement locatif privé, développées dans un note dédiée des Forums Mac Mahon6.


Nous en retenons quatre ici :

• Ne pas brider la rémunération des investisseurs par des plafonnements des loyers, dont l’effet destructeur à moyen terme sur l’offre est amplement démontré ;


• Alléger la contrainte réglementaire, de façon générale, et plus particulièrement sur le rythme d’adaptation aux objectifs d’économie d’énergie ;


• Etendre progressivement la protection contre le risque de Retrait Gonflement des Argiles, qui menace dans un rythme aléatoire la moitié du parc, en le mutualisant sur l’ensemble de la population par le dispositif de garantie des catastrophes naturelles, et en engageant dès à présent la mobilisation des fonds nécessaires en ajustant la prime de garantie des catastrophes naturelles. Ce dispositif ne serait au demeurant pas limité à l’habitat locatif ;


• L’immobilier locatif pour le propriétaire fortuné est bien loin d’être une rente grâce à laquelle il s’enrichit en dormant, et d’autant moins qu’il est plus fortuné. L’immobilier, non délocalisable, est par contre une très importante ressource pour l’Etat, qui en retire près de 30%7 de ses recettes fiscales (qui s’élevaient au total à 295,7 Md euros en 2021), alors que ce secteur ne représente que 22% du PIB : une véritable vache à lait. Au moment où l’on va devoir avoir davantage recours aux investisseurs privés, pourquoi ne pas revoir la déductibilité fiscale de certaines améliorations liées à la rénovation énergétique ou aménager l’IFI, au rendement au demeurant décevant, pour en réduire le caractère confiscatoire ? Une étape intermédiaire consistant à faire de cet impôt affectant le patrimoine locatif une charge déductible des revenus immobiliers serait une transformation financièrement globalement gagnante pour l’Etat et les collectivités publiques.


1/https://professionsfinancieres.com/sites/professionsfinancierescom/files...
2/ Source INSEE
3/ Rapport d’informationn°180 (2017-2018) de Mme Dominique ESTROSI SASSONE , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 décembre 2017
4/https://professionsfinancieres.com/sites/professionsfinancieres.com/file...
5/ Rapport INSEE « France,portrait social Édition 2021 » publié le 25/11/2021 - Section « 24 % des ménages détiennent 68 % des logements possédés par des particuliers »
6/https://professionsfinancieres.com/sites/professionsfinancieres.com/file...
7/ Rapport du compte du logement 2021 du 19/09/2022 et loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2021


Régis de LAROULLIÈRE, 

Conseil en Stratégie et Gestion des Risques, Co-animateur des Forums Mac Mahon.

Jean VINCENSINI, 

Avocat à la Cour, Co-animateur des Forums Mac Mahon.