En Décembre 2019, lors de l’émergence à Wuhan d’un nouveau coronavirus, rien ne pouvait présager que cet événement serait le point de départ d’une pandémie mondiale mettant un frein à l’économie des plus grandes puissances. En Mars 2020, au plus fort de la crise sanitaire de la Covid-19, plusieurs pays ont décidé de confiner leur population. Cette décision et l’incertitude sur le futur des secteurs particulièrement touchés par la crise ont déclenché un krach boursier : en l’espace d’un mois, les bourses mondiales ont perdu entre 35% et 40%. En l’absence de traitement efficace contre la Covid-19, le développement d’un vaccin est apparu comme la solution pour mettre définitivement fin à cette pandémie.
Le développement d’un vaccin est un processus long et complexe nécessitant habituellement plusieurs années. Pour répondre à la crise, les contraintes sont nombreuses : il s’agit de développer dans un laps de temps drastiquement réduit un vaccin sûr, efficace à moyen terme et dont les conditions de fabrication et de commercialisation sont compatibles avec une distribution à l’échelle mondiale. De nombreuses technologies des plus traditionnelles au plus innovantes ont été mises en œuvre afin de multiplier les chances de trouver un vaccin contre la Covid-19 : injection de virus atténués (Sinovac/Sinopharm), injection de protéines virales (Sanofi), injection de vecteurs viraux (AstraZeneca/Johnson&Johnson/ Galameya) ou encore injection d’ARNm (BioNtech/Moderna/ CureVac).
Soutenus par de nombreux financements issus des pouvoirs publics, les plus grands laboratoires pharmaceutiques se sont lancés dans la course au vaccin contre la Covid-19 et ont multiplié les partenariats avec des biotech de R&D ou des universités. En effet, l’OMS ne recense pas moins de 173 candidats vaccins en essais précliniques et 47 vaccins en essais cliniques dont 14 en phase 3. Cependant, nous estimons que seulement 4 à 5 vaccins seront nécessaires pour couvrir la demande mondiale. Seuls les laboratoires les plus rapides pourront bénéficier d’un champ libre pour adresser un marché de l’ordre de 30 à 40 Mds$ en Europe et aux USA.
Dans cette course au développement d’un vaccin, plusieurs essais cliniques de phase 3 ont été interrompus pour causes d’effets indésirables apparus chez au moins un patient : l’essai clinique d’AstraZeneca a été arrêté à deux reprises en Juillet puis en Septembre avant de finalement reprendre le 23 Octobre. De même, les essais cliniques évaluant les vaccins de Johnson & Johnson et de Synovac ont été suspendus pendant plusieurs jours avant de reprendre.
Dès cet été, avant même l’obtention de premières données d’efficacité clinique, de nombreux États ont réalisé des précommandes de vaccins afin de s’assurer un approvisionnement. En cumulé, l’UE a précommandé 1,9 milliards de doses auprès de Johnson&Johnson, AstraZeneca, Sanofi, CureVac, Pfizer et Moderna pour ses pays membres. À ce jour, les vaccins les plus avancés sont ceux de Pfizer/BioNtech et de Moderna, déjà approuvés aux USA et en Europe, utilisant une nouvelle technologie reposant sur de l’ARNm issu du Covid-19. Ils sont suivis par les vaccins d’AstraZeneca/Oxford et de Johnson&Johnson, tous deux composés de vecteurs viraux.
Le 9 Novembre 2020, Pfizer et BioNtech ont annoncé une efficacité d’au moins 90% pour leur vaccin contre la Covid-19. En réaction à cette nouvelle tant attendue, les marchés financiers se sont envolés, anticipant la fin de la crise. Les bourses mondiales ont enregistré des niveaux historiques : le CAC 40 a pris +7,57%, l’Eurostoxx +6,36%, le Dow Jones a pris +2,95% et le S&P 500 +1,17% en une journée. Quelques jours plus tard, la société de biotechnologie américaine Moderna a annoncé que son vaccin est efficace à 94,5%.
Les dernières données communiquées sur ces deux vaccins révèlent une efficacité de 95% et 94,5% respectivement pour les vaccins de Pfizer et de Moderna. Les essais cliniques de phase 3 suivent le même protocole : étude contrôlée, randomisée, en double-aveugle, deux bras d’étude (vaccin/placebo) de même taille, injections de deux doses de vaccin ou de placebo (aux jours 1 et 29) et mesure de l’occurrence des cas de Covid-19 chez les participants ayant reçu la 2e dose. Dans l’étude menée par Pfizer/ BioNtech, plus de 40 000 participants ont été recrutés et l’analyse intermédiaire a porté sur 170 cas de Covid-19 apparus au moins 7 jours après l’injection de la seconde dose. Ces résultats montrent une réduction de 95% du nombre de cas de Covid-19 dans le bras de l’étude ayant reçu le vaccin par rapport au bras ayant reçu le placebo. Dans l’essai mené par Moderna, plus de 30 000 patients ont été recrutés et la première analyse a porté sur 95 cas : 90 cas de Covid-19 appartiennent au groupe placebo contre 5 cas au groupe ayant reçu le vaccin, soit une réduction de 94,5% des cas de Covid-19 suite à la vaccination. Quant au vaccin développé par AstraZeneca/Oxford, suite à une erreur, le protocole des essais cliniques de phase 3 n’a pas pu être respecté dans un groupe de patients. En effet, au lieu de recevoir deux doses complètes de vaccin à chaque injection, seulement une demi-dose de vaccin a été administrée en 1ère injection dans ce groupe de patients, complétée ensuite par une dose entière lors de la 2e injection. Les résultats intermédiaires publiés le 23 Novembre 2020 ont été mesurés sur 11 636 participants dont 131 cas de Covid-19. Ils mettent en évidence une efficacité de 62,1% dans le groupe ayant reçu deux doses entières de vaccin et une efficacité de 90% dans le groupe ayant reçu d’abord une demi-dose. Ces résultats donnent ainsi une efficacité moyenne de 70,4% contre la Covid-19, efficacité moindre que celle communiquée par Pfizer/BioNtech et Moderna.
Les vaccins de Pfizer/BioNtech et Moderna sont tous les deux constitués d’ARNm : c’est la première fois que cette technologie est utilisée pour la création d’un vaccin. L’ARNm, ou Acide RiboNucléique Messager, est une molécule portant une partie de l’information génétique contenue dans le génome du Covid-19. Le fragment d’ARNm choisi code la protéine « spike » du Covid-19 : exprimée à la surface du virus, elle lui permet de pénétrer dans les cellules humaines. L’ARNm utilisé n’est pas strictement identique à celui du Covid-19, il est modifié afin de ne pas déclencher une réponse immunitaire trop forte. Les molécules d’ARNm sont encapsulées avec des nanoparticules lipidiques afin de les protéger et de permettre leur pénétration dans les cellules humaines. Une fois que l’ARNm est entré dans les cellules, il est lu par la machinerie cellulaire et les cellules se mettent alors à produire temporairement la protéine spike du Covid-19. Cette production déclenche une réponse immunitaire et la production d’anticorps dirigés contre cette protéine. Un des avantages majeurs de cette technologie est sa rapidité de mise en œuvre et la facilité à produire rapidement en grande quantité les ARNm nécessaires. Néanmoins, les ARNm étant très fragiles, le vaccin de Pfizer doit être conservé à -80°C et celui de Moderna à -20°C. Les contraintes de conservation de ces vaccins soulèvent des problèmes logistiques pour leur transport et l’organisation des campagnes de vaccination qui restent toutefois gérables.
Aux USA, le vaccin de Pfizer a été le premier à être approuvé par la FDA le 11 Décembre 2020, suivi une semaine plus tard, de l’accord du vaccin de Moderna. En Europe, l’EMA a approuvé ces deux vaccins dans les semaines qui ont suivi : le 22 Décembre et le 6 Janvier 2021 respectivement. L’approbation de ces différents vaccins a permis le démarrage des campagnes de vaccination en Europe et aux USA dès la fin du mois de Décembre avec pour objectif d’atteindre l’immunité collective en Septembre 2021.
Concernant l’évaluation des fabricants de vaccins, bien que des vaccins aient été approuvés et que les campagnes de vaccination aient débuté avec 44 millions de personnes vaccinées au 19 Janvier 2021, de nombreuses incertitudes demeurent à plusieurs niveaux. En effet, personne ne peut prédire la fin de la pandémie. Cette maladie s’installera-t-elle dans la durée en devenant saisonnière ? Quelles seront les conséquences de l’apparition de nouveaux variants plus virulents sur l’efficacité des vaccins développés ? Des incertitudes persistent également sur la production et la distribution des doses de vaccins comme en témoignent les problèmes rencontrés par Pfizer et AstraZeneca conduisant à des retards dans la livraison des doses.
Néanmoins, nous sommes confiants dans les pionniers du secteur : les fabricants de vaccins utilisant la technologie à ARNm. En effet, le chiffre d’affaires de l’année 2021 de BioNtech et Moderna se comptera en dizaines de milliards de dollars et il est probable que les revenus soient récurrents avec l’apparition des nouveaux variants et la potentielle nécessité de revacciner si la maladie s’installe dans le temps. De plus, étant donné que plus de 40 millions de personnes ont été vaccinées à ce jour, bien que les effets secondaires à long terme ne soient pas encore connus, le risque d’effets secondaires à court terme est très faible. Enfin, cette technologie à ARNm a fait ses preuves et possède un potentiel énorme dans la vaccination mais aussi dans d’autres domaines thérapeutiques. C’est la première fois que des vaccins ont pu être développés en un laps de temps si court, avec une excellente efficacité et très peu d’effets secondaires recensés sur le court terme. Il est également raisonnable de penser que les contraintes de production et de conservation de ces vaccins seront améliorées dans les années à venir.
Ainsi, malgré le caractère spéculatif à la vue de l’évolution récente des cours boursiers, BioNtech et Moderna sont des nouveaux entrants biopharmaceutiques à très fort potentiel, comme Amgen l’a été en son temps.
Nabil GHARIOS, Responsable du groupe sectoriel Biotech Santé de la SFAF (Société Française des Analystes Financiers)
et gérant actions de DNA Finance