"Je crois que l'eau sera un jour employée comme combustible, que l'hydrogène et l'oxygène qui la constituent, utilisées isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d'une intensité que la houille ne saurait avoir. " -
Jules Verne
Par le passé, l’hydrogène a suscité de multiples vagues d’intérêt, sans grand succès… Toutefois un tournant semble aujourd’hui s’opérer ! Le contexte s’avèrerait nettement plus favorable à son exploitation, en lien avec la réduction des coûts des énergies renouvelables et des électrolyseurs, essentiels à la production décarbonée d’hydrogène.
Lors de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP26) à Glasgow, 59 pays se sont engagés à travailler pour que « l’hydrogène renouvelable et à faible teneur en carbone soit disponible dans le monde entier d’ici à 2030 ».
Si plusieurs pays disposent désormais d’une stratégie nationale en matière d’hydrogène, il convient de s’interroger : quelles sont les capacités réelles de l’hydrogène pour nous aider à atteindre la neutralité carbone ?
L’hydrogène est un gaz produit au moyen d’une réaction chimique à partir d’une ressource primaire (comme le gaz naturel ou le vent), ou à partir d’une ressource secondaire comme l’électricité. La combustion de ce gaz n’émet pas directement du dioxyde de carbone (CO2), mais son empreinte carbone dépend de son processus de production. Celui-ci peut être neutre en carbone à condition de reposer sur des sources d’énergie renouvelables (solaire, éolien, biomasse) ou d’utiliser de l’électricité issue du réseau avec un mix énergétique à faible teneur carbone.
L’hydrogène est un excellent vecteur énergétique, sa densité énergétique est de 33 kWh par kilogramme, il contient 3 fois plus d’énergie par unité de masse que le gazole et 2,5 fois plus que le gaz naturel, selon les estimations de l’Agence de la transition écologique (ADEME, 2013).
L’hydrogène offrirait donc des opportunités significatives et permettrait à la fois de combler les besoins énergétiques tout en répondant aux exigences d’une économie plus décarbonée.
L’hydrogène apporte des solutions complémentaires à la maîtrise de la consommation d’énergie et au développement des sources renouvelables : stocker l’électricité, gérer les réseaux énergétiques, se déplacer plus proprement.
Premièrement, l’hydrogène pourrait contribuer à la résilience de nos systèmes, en équilibrant la demande et l’offre d’électricité.
En effet, l’électrification massive est l’une des principales stratégies pour réduire les émissions dans de nombreux secteurs, comme le transport ou le chauffage (l’ADEME, 2021 ; rapport de RTE de 2021, le gestionnaire de réseau de transport d’électricité français). Néanmoins, cette approche nécessite dans un premier temps une forte augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique.
Cette stratégie rendrait d’une part l’offre d’électricité plus volatile en raison des aléas climatiques (ex. centrales hydroélectriques) et météorologiques (ex. parcs éoliens et photovoltaïques). Ainsi, les secteurs très électrifiés pourraient être exposés à des prix élevés lorsque la capacité de production est limitée.
D’autre part, si l’hydrogène dépend lui aussi de cette production renouvelable, une stratégie de production et de stockage en heures creuses (lorsque la demande d’électricité n’est pas importante) permettrait d’exploiter de l’électricité autrement perdue. Par ailleurs, l’hydrogène stocké peut-être transformé en électricité et injecté dans le réseau pour faire face à l’intermittence des énergies renouvelables.
Ainsi, l’hydrogène viendrait compléter les énergies renouvelables dans un système électrique décarbonisé.
Deuxièmement, l’hydrogène est un outil clé pour la décarbonisation de certains usages où l’électrification n’est pas possible, ou techniquement très difficile. Ceci est le cas du transport routier, ferroviaire, aérien et maritime. En effet, ces modes de transport nécessitent d’une grande autonomie qui n’est pas possible avec des batteries.
Finalement, l’hydrogène renouvelable est le seul moyen de décarboner certains processus industriels.
A ce stade, l’hydrogène est très utilisé dans le secteur industriel, pour la production d’ammoniac et de méthanol, ainsi que dans les procédés de raffinage des produits pétroliers, carburants et biocarburants. Néanmoins, cet hydrogène est issu des sources fossiles, il faudrait donc le remplacer par un hydrogène plus « propre » et donc mois carboné.
Aujourd’hui, la production hydrogène n’est pas encore en mesure de répondre aux défis d’approvisionnement à une échelle nationale, et reste très localisée. En effet, selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), en 2019, 85 % de l’hydrogène était produit et consommé sur place au lieu d’être acheté et vendu sur le marché. Par ailleurs, sa production reste très carbonée. En effet, en 2018, 95 % de cette production était issue de sources fossiles (AIE, 2020). D’autant plus, l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables (IRENA) estime qu’il faudrait 3 600 térawattheures (TWh), compte tenue de l’efficacité aller-retour des électrolyseurs sur le marché (entre 60 – 80 %), pour combler la demande d’hydrogène renouvelable… soit plus que la production annuelle d’électricité de l’Union européenne (UE).
La principale limite de l’hydrogène renouvelable, d’après l’AIE, est son coût. Il est trois fois plus important (5,5€/kgH2) que celui issu des énergies fossiles (1,5€/kgH2). À noter qu’actuellement, la production par vaporeformage est éligible à des allocations gratuites de permis d’émissions pour limiter le risque de fuite de carbone, c’est-à-dire la délocalisation d’activités industrielles hors de l’Union européenne.
À ces coûts s’ajoutent ceux du stockage et du transport, particulièrement élevés en raison de la compression de l’hydrogène. En effet, ce dernier a une faible densité volumique, sa densification permet de le stocker et transporter plus facilement, mais ceci réclame beaucoup d’énergie. Actuellement, il existe deux solutions technologiques pour la production d’hydrogène par électrolyse : les électrolyseurs alcalins et ceux à membrane échangeuse de protons (PEM). D’un côté, les alcalins sont produits avec des matériaux peu couteux. Cependant, ceux-ci sont peu adaptés à un couplage avec des énergies intermittentes, en raison de sa capacité nominale qui ne peut être atteinte qu’après plusieurs heures d’opération. D’autre côte, les PEM ne présentent pas cette limite, en dépit d’une utilisation plus importante de matériaux rares pour leur production tels que le Platinum, l’Iridium, etc.
Ainsi, cette filière est caractérisée par des coûts qui ne peuvent être réduits que par le biais de la recherche et développement (R&D), et la réalisation d’économies d’échelle liées au déploiement massif d’électrolyseurs.
De nouveaux outils, comme les contrats de différence liés au carbone, peuvent agir en complément des politiques économiques plus « classiques » (subventions ou taxes) - mais dépendent de la volonté de chaque État. Avec ce type de contrat, les pouvoirs publics fixent un prix du carbone pour un investisseur, et s’engagent à lui rembourser la différence entre le prix fixé et celui du marché si ce dernier est inférieur. Si le prix du marché est supérieur au prix du carbone, alors l’investisseur devra rembourser les pouvoirs publics. Dans le contexte Européen, un tel contrat devra tenir en compte des prix futurs du gaz naturel, des aides d’État du système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) ainsi que du parc électrique de chaque pays (très différent entre chaque état membre par des raisons géographiques et historiques).
Par ailleurs, cette production décarbonée pourrait entraîner des changements dans la position relative des États en matière énergétique. En effet, les régions disposant d’un fort potentiel renouvelable pourraient “expédier du soleil” au-delà des frontières.
Contrairement à la force du vent et l’irradiation solaire, présentes partout dans le globe mais à des échelles différentes, les sources d’énergies fossiles, comme le pétrole ou le gaz, sont plus rares. L’hydrogène renouvelable apporte une diversification de l’offre sur le marché des carburants, et pourrait entraîner des nouvelles relations commerciales entre les pays.
L’Afrique, les Amériques, le Moyen-Orient et l’Océanie disposent des plus grandes ressources, termes de force du vent et l’irradiation solaire, pour la production d’hydrogène renouvelable (IRENA, 2022). Cependant, leur capacité à les exploiter varie fortement d’une région à autre, et dépend d’autres facteurs technologiques et institutionnelles, comme le soutien du gouvernement.
Par ailleurs, les pays asiatiques tel que le Japon, la Corée du Sud et la Chine ont été parmi les premiers pays à investir dans cette filière, principalement dans le secteur des transports. Par exemple, la Corée du Sud possède aujourd’hui la 1ère flotte de véhicules à pile à combustible avec plus de 10 000 véhicules (IRENA, 2022). En guise de comparaison, la flotte Allemande qui est la plus grande flotte de l’UE n’a que 800 véhicules. En outre, le Japon et la Corée du Sud ont été parmi les premiers pays à s’interroger sur les implications géopolitiques. Ceci peut s’expliquer par différence des coûts futurs entre la production locale (USD 6,5 per kgH2) et les importations (USD 5,5/kgH2). Par exemple, la Corée étudie des contrats avec de potentiels exportateurs comme l’Australie et l’Arabie Saoudite. Dans le cas du Japon, les premières importations d’hydrogène par voie maritime, au départ du Brunei, ont eu lieu en décembre 2019.
L’approche de l’Union Européenne (UE) diffère un peu de ce que l’on a pu observer dans d’autres régions par le passé. Son plan d’action repose sur trois piliers (Wolf et Zander, 2021) :
Décarboner l’activité industrielle utilisant de l’hydrogène non-renouvelable, et développer des nouveaux usages. Pour cette première action, l’UE s’est fixée l’objectif d’installer 6 gigawatts d’électrolyseurs d’ici 2024.
Devenir le principal vecteur énergétique dans les industries énergivores, et investir dans le secteur des transports. Cette deuxième action s’accompagne du déploiement de 40 gigawatts d’électrolyseurs d’ici 2030.
Exploiter l’hydrogène renouvelable dans tous les secteurs où des solutions technologiques compétitives existent.
Pour atteindre ces objectif, la Commission européenne estime qu’il faudra des investissements à la hauteur 180 à 470 milliards d’euros d’ici à 2050. Il existe des fortes inégalités en matière de besoins énergétiques sectoriels entre les différentes États Membres. Ceux-ci s’expliquent par des raisons historiques et géographiques. Ainsi, les investissements dans des technologies exploitant l’hydrogène pour des usages spécifiques sont logiquement plus pertinents dans certains États que dans d’autres. Par exemple, selon Wolf et Zander (2021), les besoins en matière de stockage sont plus importants au Danemark, en Lituanie et en Irlande (en raison de la part importante des énergies renouvelables dans leur mix-énergétique) que dans d’autres États Membres. Par ailleurs, ces différences rendent difficile la mise en place d’une seule infrastructure à l’échelle de l’UE.
Ceci entraîne la mise en œuvre de nouvelles organisations telles que les « vallées hydrogène » où des acteurs historiques et des start-ups s’associent pour combiner offre et demande dans une seule région. Ces « vallées hydrogène » s’inspirant des pôles de compétitivité, permettent d’accélérer le déploiement de nouvelles technologies grâce à un partage d’expertise permettant une réduction des coûts. De plus, elles limitent le besoin de déployer une grande infrastructure de transport. Ce type d’écosystèmes peut bénéficier d’un accès plus facile à des aides d’État, par exemple dans le cadre des appels à projet du Plan National de Relance et de Résilience (PNRR) du gouvernement en France. D’autant plus que l’hydrogène dispose désormais de son propre projet important d’intérêt européen commun (PIIEC). Ce mécanisme autorise les pouvoirs publics des États membres à financer des initiatives au-delà des limites habituellement fixées par la Commission Européenne.
En ce qui concerne la France, dans le cadre du PNRR, 7 milliards d’euros vont être investis d’ici 2030 pour le développement de l’hydrogène décarboné. Par ailleurs, sa stratégie se démarque des autres États Membres par la volonté d’une production souveraine, sans recours à des importations venant de l’étranger. Au contraire, d’autres pays comme l’Allemagne souhaitent investir directement dans des projets à l’étranger.
Le développement de la filière hydrogène entraîne la mise en œuvre de nouvelles infrastructures et organisations.
Ce gaz est un excellent vecteur énergétique mais son apport en tant qu’outil pour la transition énergétique dépendra fortement de la capacité des états à produire suffisamment d’énergie renouvelable, et de maitriser la consommation. Par ailleurs, ceci implique que l’hydrogène doit être réserver qu’aux usages qui ne peuvent pas électrifiés, comme le transport maritime ou aérien. Son déploiement entraîne des nouveaux échanges commerciaux entre différentes régions du monde, mais offre une opportunité pour une souveraineté énergétique.
Le déploiement de « l’hydrogène vert » à grande échelle dépendra donc de choix stratégiques, économiques et institutionnelles.
Saï BRAVO
Economiste Think Tank BSI Economics
Ademe. (2013). Hydrogène : Nouvelle énergie verte.
Ademe. (2021). Transition(s) 2050 - Choisir maintenant, agir pour le climat.
AIE (2019). The Future of Hydrogen: Seizing today’s opportunities.
Gouvernement. (2021) Plan National de Relance et de Résilience.
IDDRI. (2022). Hydrogène pour la neutralité climat : conditions de déploiement en France et en Europe.
IRENA. (2022). Geopolitics of the Energy Transformation - The Hydrogen Factor.
RTE (2021). Futurs Energétiques 2050. Le rôle de l’hydrogène et des couplages (chapitre 9).
Wolf et Zander. (2021). Green Hydrogen in Europe: Do Strategies Meet Expectations? Intereconomics.