Versement de dividendes et rachat d’actions : une comparaison des stratégies de rémunération des actionnaires

Éric SÉVERIN, Professeur des Universités, IAE de Lille, Université de Lille

David VEGANZONES, Associate Professor, OMNES Education, ESCE International Business School


Introduction

Les entreprises cotées en bourse disposent de plusieurs moyens pour rémunérer leurs actionnaires. Parmi les plus courants figurent le versement de dividendes et le rachat d’actions. Ces deux mécanismes répondent à des logiques financières et stratégiques distinctes et ont des implications variées tant pour les investisseurs que pour la structure financière des entreprises. L’objectif de cette analyse est d’une part, de comparer ces deux approches en mettant en lumière leurs avantages, leurs inconvénients et leurs impacts économiques et, d’autre part, de s’interroger sur la complémentarité ou la substituabilité de ces deux modes de rémunération des actionnaires.


Mécanisme des dividendes et des rachats d’actions

Le dividende correspond à une distribution de bénéfices réalisée par une entreprise en faveur de ses actionnaires. Il peut prendre la forme d’un versement en numéraire ou en actions, et son montant dépend de la politique adoptée par l’entreprise. Selon Lintner (1956), les sociétés cherchent généralement à maintenir un niveau de dividende stable ou croissant, traduisant ainsi leur engagement envers les investisseurs.

Le rachat d’actions, en revanche, consiste pour une entreprise à acquérir ses propres titres sur le marché, réduisant ainsi le nombre d’actions en circulation. Ce processus entraîne mécaniquement une augmentation du bénéfice par action (BPA) et contribue au soutien du cours boursier. Fama et French (2001) ont observé que cette pratique a gagné en popularité depuis les années 1980 en raison de sa plus grande flexibilité par rapport aux dividendes. L’exemple d’Apple depuis 2013 en est la pleine illustration.

https://www.zonebourse.com/cours/ action/APPLE-INC-4849/actualite/Les actions-d-Apple-bondissent-grace-a-un-rachat-d-actions-record-et-a-des-previsions-de-croissa-46621522


Avantages et inconvénients des deux stratégies

Le versement de dividendes présente plusieurs atouts, à commencer par la prévisibilité qu’il offre aux actionnaires. Un dividende régulier est souvent interprété comme un signe de stabilité financière et de confiance dans la performance de l’entreprise, comme le souligne Gordon (1963). Cette régularité attire notamment les investisseurs institutionnels et les particuliers en quête de revenus stables. De plus, selon Jensen (1986), le versement de dividendes permet de limiter l’accumulation excessive de liquidités par la direction, réduisant ainsi les conflits d’agence.

Toutefois, cette stratégie présente aussi des inconvénients, notamment en matière de fiscalité. Les dividendes sont souvent soumis à une imposition plus élevée que les gains en capital issus des rachats d’actions. Par ailleurs, les entreprises peuvent se retrouver contraintes par cette politique, car une réduction des dividendes est généralement mal perçue par les marchés financiers, ce qui peut compromettre leur flexibilité financière (Brav et al., 2005).

Le rachat d’actions offre quant à lui une flexibilité accrue aux entreprises, leur permettant d’ajuster la rémunération des actionnaires en fonction de leur situation financière et des conditions de marché. Contrairement aux dividendes, cette approche ne crée pas d’engagement régulier, ce qui la rend plus adaptable aux fluctuations économiques. Elle présente également un avantage fiscal, dans la mesure où elle permet d’augmenter le prix des actions plutôt que de verser des dividendes, ce qui est souvent plus avantageux pour les investisseurs. En réduisant le nombre d’actions en circulation, cette pratique accroît mécaniquement le bénéfice par action et peut ainsi soutenir le cours boursier (Grullon et Michaely, 2002).

Cependant, les rachats d’actions peuvent parfois être perçus négativement. Ils peuvent donner l’impression que l’entreprise manque d’opportunités d’investissement rentables et cherche simplement à soutenir artificiellement le cours de son action. De plus, certains dirigeants peuvent recourir à cette pratique de manière opportuniste, privilégiant une valorisation à court terme au détriment des investissements stratégiques à long terme (Skinner, 2008).


Versement de dividendes et rachats d’action : complémentarité ou substituabilité ?

Le choix entre dividendes et rachats d’actions dépend de plusieurs paramètres, notamment du stade de développement de l’entreprise, de l’environnement économique et des considérations fiscales. D’après DeAngelo et DeAngelo (2006), les entreprises matures ont tendance à privilégier le versement de dividendes, tandis que celles en forte croissance préfèrent les rachats d’actions afin de préserver leur flexibilité financière.

Les cycles économiques influencent également ces décisions. En période d’expansion, les rachats d’actions se multiplient, alors qu’en temps de crise, les entreprises cherchent avant tout à préserver leur liquidité en réduisant leurs programmes de rachat et en limitant les distributions de dividendes.

Au-delà de ces constats, on peut s’interroger sur les liens qui existent entre dividende et rachat d’actions. La littérature académique s’est interrogée sur leur relation, oscillant entre une approche de substituabilité ou de complémentarité.

Jagannathan et al. (2000) montrent que ces deux mécanismes sont substituables. Les entreprises dont les flux de trésorerie sont volatils privilégient les rachats d’actions plus flexibles que les dividendes. Dans la même perspective, Brav et al. (2005) soulignent que les dirigeants préfèrent éviter de réduire les dividendes, de peur d’envoyer un signal négatif au marché, ce qui les pousse à recourir aux rachats comme outil d’ajustement.

D’autres travaux suggèrent toutefois une complémentarité entre ces deux formes de redistribution. Grullon et Michaely (2002) montrent que les entreprises qui augmentent leurs rachats d’actions ne réduisent généralement pas leurs dividendes, ce qui indique que ces deux stratégies peuvent coexister. Cette complémentarité s’explique notamment par la volonté des entreprises d’envoyer un signal positif aux investisseurs tout en maintenant une politique stable de rémunération des actionnaires.

En réalité, le choix entre ces deux stratégies dépend de plusieurs facteurs. Sur le plan fiscal, Allen et al. (2000) montrent que, dans certaines juridictions aux États-Unis, les rachats d’actions peuvent être plus avantageux que les dividendes, car ils permettent aux investisseurs de différer l’imposition sur les gains en capital. Le rachat d’actions peut également être utilisé comme un signal de sousévaluation du titre. Ikenberry et al. (1995) mettent en évidence que les rachats sont souvent suivis d’une surperformance du titre, suggérant que les entreprises recourent à cette stratégie pour indiquer que leur action est sous-évaluée.

Plus spécifiquement en Europe, une étude d’envergure de Von Eije et Meggison (2008) a cherché à déterminer la politique de dividendes et de rachats d’actions d’un large panel d’entreprises européennes entre 1989 et 2005. L’échantillon final comprend d’une part, 39 731 observations années de firmes versant des dividendes et 20 998 observations-années de firmes n’en versant pas et, d’autre part, de 3 830 observations-années d’entreprises ayant fait des rachats d’actions et 38 569 observations-années de firmes n’ayant pas fait de rachat d’actions. L’étude de Von Eije et Meggison (2008) portent sur 15 pays qui étaient membres de l’Union européenne avant mai 2004. Ils mettent en évidence que, comme aux États-Unis, la proportion d’entreprises européennes versant des dividendes diminue, tandis que les dividendes réels totaux versés augmentent et que les rachats d’actions s’accroissent de façon significative. Des spécificités européennes existent. Ainsi, les dividendes et les rachats d’actions sont de plus en plus concentrés parmi un petit nombre de grandes entreprises européennes. Il ressort également que les entreprises européennes qui publient leurs résultats plus fréquemment versent généralement plus de dividendes et rachètent davantage d’actions. Enfin, contrairement aux résultats observés aux États-Unis, la part des bénéfices accumulés dans les fonds propres ne semble pas significativement corrélée avec la probabilité de verser des dividendes en Europe.


Conclusion

Le versement de dividendes et le rachat d’actions constituent deux stratégies essentielles pour redistribuer les profits aux actionnaires, chacune présentant des atouts et des limites spécifiques. Le choix entre ces deux approches repose sur les objectifs stratégiques de l’entreprise, la structure de son actionnariat et le contexte économique global.

Une combinaison équilibrée de ces deux outils peut permettre d’optimiser la création de valeur pour les actionnaires tout en garantissant une gestion prudente des ressources financières.

Éric SÉVERIN

Professeur des Universités, IAE de Lille, Université de Lille



David VEGANZONES

Associate Professor, OMNES Education, ESCE International Business School