Le regard de la société est en train de changer sur la jeunesse, et l’entrepreneuriat y est sans doute pour quelque chose. Nous sommes collectivement surpris par la capacité d’initiative de jeunes gens qui n’hésitent pas à casser les codes et à intervenir où on ne les attend pas, même dans des domaines jusque-là fortement dominés par des entreprises qui sont devenues des institutions. Le monde de la finance n’y échappe pas. Le numérique a démocratisé l’entrepreneuriat en permettant à des projets de naitre et de se faire connaitre malgré la frugalité de leurs moyens. Il permet de repenser les solutions en cassant notamment les logiques d’économie d’échelle favorables à ceux qui sont en place. Puisqu’ils ont peu d’expérience, ces jeunes entrepreneurs ont tendance à aller dans des espaces nouveaux qui permettent que cela devienne un avantage. Ils combinent nativement les dimensions économiques, sociales, environnementales ou culturelles par conviction, parce que cela leur parait naturel mais aussi parce qu’ils savent que cela leur attire l’intérêt de clients et de partenaires. La presse ou les réseaux sociaux fourmillent d’exemples où de jeunes entrepreneurs tentent de réinventer des offres, de tisser du lien social, d’avoir un impact environnemental. Ils étaient vus avec sympathie. Ils représentent désormais l’espoir de réponses stimulantes aux nombreux défis auxquels notre société est confrontée. Et encore, ils ne sont que la partie émergée d’un iceberg dont le potentiel se révèle progressivement.
Un poste d’observation intéressant est celui de l’enseignement supérieur. L’entrepreneuriat s’y développe depuis une vingtaine d’années au moins mais l’accélération s’est affirmée depuis 10 ans avec l’apparition de Pôles Entrepreneuriat Etudiant et plus particulièrement depuis 2014 avec la création d’un réseau national de 33 PEPITE, les Pôles Etudiants Pour l’Innovation le Transfert et l’Entrepreneuriat. Ces pôles sont portés par les établissements d’un territoire et sont en charge de déployer une politique nationale en faveur de l’Esprit d’Entreprendre. Ils accompagnement notamment des porteurs de projet qui demandent d’être reconnus à travers le Statut National Etudiant Entrepreneur. Ils étaient plus de 5000 cette année, un chiffre en constante augmentation. Ce statut était une première mondiale et d’une certaine manière peut être comparé au sportif de haut niveau qui bénéficie d’aménagements dans son parcours. Il est le fruit d’un travail de concertation entre les étudiants, les enseignants, les acteurs de l’entrepreneuriat pour trouver des réponses aux difficultés d’entreprendre pendant les études. Et désormais il s’exporte : Maroc, Tunisie, Belgique, Liban… et de nombreux autres pays sont intéressés par l’expérience. Cela signifie que la volonté d’entreprendre existait mais qu’il fallait libérer les initiatives. L’enseignement supérieur s’est adapté à cette demande et non l’inverse. Il devient lui-même entreprenant. Le cas des jeunes diplômés est à ce titre emblématique. Jusque-là, un étudiant qui voulait entreprendre après ses études était sous les radars : sans reconnaissance ni accompagnement, souvent trop jeune même pour bénéficier de minima sociaux alors même qu’il prétendait créer de la valeur. Depuis 2014 les jeunes diplômés peuvent continuer d’instruire leur projet au sein des PEPITE grâce à un diplôme sur mesure, le Diplôme d’Etudiant Entrepreneur. Un diplôme pour entreprendre ? Un diplôme ne donne évidemment pas de garantie sur la bonne fin d’un projet mais il atteste qu’entreprendre s’apprend et que l’on doit reconnaitre les compétences ainsi acquises, quel que soit l’issue du projet. Ce diplôme est construit sur des principes de pédagogie inversée et il donne une large place à l’apprentissage par l’expérience et au mentorat par des pairs. La communauté des étudiants entrepreneurs est alors hébergée au sein des incubateurs des établissements ou dans ceux des PEPITE.
Mais les établissements agissent également en amont avec les PEPITE, notamment sur la sensibilisation. Il s’agit d’interroger les représentations que se font les jeunes de l’entrepreneuriat. Audelà de la seule création, ils sont invités à réfléchir à leur posture, à leur rapport au monde. Des rôles-modèle viennent les inspirer et leur confirmer qu’ils peuvent avoir confiance dans leurs compétences et que l’essentiel est surtout d’être acteur de sa vie. L’objectif défini par la Ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation est ambitieux : 100% des étudiants devront être sensibilisés à un moment de leur cursus.
L’entrepreneuriat participe désormais de la vie de campus. Une semaine étudiante de l’esprit d’entreprendre, la semaine CREATIV’, ouvre chaque année universitaire. Cette semaine est essentiellement créée par les étudiants et pour les étudiants, de manière entrepreneuriale. Les espaces de coworking sont courants et sont de véritables vitrines, des lieux totem. Les hackathons et challenges en tous genres se multiplient dans des ambiances festives qui contribuent à leur succès et ces temps forts reviendront à n’en pas douter lorsque les conditions sanitaires le permettront. Les formations en entrepreneuriat, sans que toujours le nom ne soit utilisé, se multiplient. Pour ne rien imposer, elles sont souvent proposées en option dans le cadre d’unités d’ouverture dont la vocation est justement d’ouvrir les étudiants à d’autres sujets que leur spécialité. Au-delà du contenu, les modalités pédagogiques mobilisées répondent aux attentes des étudiants et viennent compléter les séminaires fondamentaux. Les étudiants sont accompagnés dans l’utilisation d’outils de résolution de problème, ils doivent concrètement aller au contact de clients potentiels, ils doivent prendre des décisions avec une information partielle, dans un contexte de forte incertitude. On leur apprend à apprendre dans l’action dans une logique heuristique, effectuale, et à prendre confiance dans leur capacité de jugement.
L’enseignement supérieur prépare ainsi une génération de jeunes entreprenants. Ils ne seront pas tous, loin s’en faut, créateurs d’entreprise ou d’association. Leurs employeurs devront cependant s’adapter à leur esprit d’entreprendre, à leur appétence pour travailler en mode projet, à la volonté que leur voix compte, et à ce que les valeurs auxquelles ils croient soient explicitement défendues.
Finalement nous croyons former cette génération et c’est elle qui nous invite à nous transformer, et rapidement.
Parmi cette génération, les futurs docteurs n’échappent pas à la diffusion de l’esprit d’entreprendre. Alors qu’il y a peu, passer un doctorat était souvent synonyme de carrière académique, aujourd’hui, un doctorant sur deux envisage l’entrepreneuriat comme une suite potentielle à sa carrière. Leur motivation ? la même que les chercheurs : répondre aux défis auxquels nos sociétés font face. La formation doctorale est un moment propice pour découvrir sa fibre entrepreneuriale. Les doctorants bénéficient de l’environnement stimulant des campus universitaires. Il est favorable à l’émergence de projets aux idées innovantes qu’ils vont devoir porter et défendre pour obtenir leur titre de docteur. Ils vont développer des compétences que peu de gens développent à leur âge tel qu’être indépendant, proactif, apprivoiser les difficultés et trouver des solutions. Les doctorants représentent ainsi un incroyable vivier de scientifiques de pointe capables de mener à bien des projets entrepreneuriaux uniques et fortement différentiant sur la scène mondiale. Les pays anglo-saxons l’ont bien compris mais, en France, les jeunes docteurs souffrent encore d’un déficit de légitimité qui les retient de se lancer. Avec l’ambition du gouvernement de faire de la France l’un des centres mondiaux de la deeptech, faire bénéficier au monde socio-économique les compétences des docteurs n’a jamais été aussi impératif. Récemment, la création du concours i-PhD qui récompense les meilleurs projets nationaux portés par des jeunes docteurs a permis de mettre en lumière ces doctorants qui entreprennent. Petit à petit, l’écosystème prend conscience de leur plus-value et se structure afin de les accompagner et leur donner les moyens de leurs ambitions. Cette évolution des mentalités arrive au moment opportun pour atteindre l’objectif défini dans la Loi Pluriannuel de la Recherche (LPR) de créer 500 start-ups deeptech par an afin de renforcer la compétitivité de la France et se donner l’opportunité de répondre aux enjeux majeurs pour la planète et la société.
Alain ASQUIN, Délégué Ministériel à l’entrepreneuriat étudiant
Dr. Lucie RIVIER, Chargée de mission Entrepreneuriat