Comment renforcer l'impact de l'épargne européenne sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre ?

Au niveau mondial, les investissements dit « durables » ont atteint un niveau record, et la pandémie de COVID-19 ne semble pas avoir ralenti leur croissance. Entre 2017 et 2019, les investissements responsables ont augmenté de 34 %, pour atteindre près de 31 000 milliards de dollars au cours des deux dernières années. Cette augmentation, dans un contexte de renforcement de l’inquiétude suscitée par le changement climatique, est en partie alimentée par les épargnants.

L’Europe est la première région pour les investissements durables, avec environ 14 000 milliards de dollars consacrés à ces stratégies, soit une hausse de 11 % par rapport à 2016, selon le rapport biennal de la Global Sustainable Investment Alliance.

On peut certainement se réjouir de cette tendance, laquelle est par ailleurs accompagnée par l’UE. Récemment, la Commission Européenne a adopté une nouvelle série de lignes directrices visant notamment à clarifier les contours de l’investissement « durable ». Leur mise en œuvre, prévue en partie à compter de 2021, vise notamment à mettre un frein aux pratiques de « greenwashing » susceptibles de tromper les investisseurs éthiques par des allégations mensongères ou inexactes quant aux bénéfices environnementaux associés à un produit. Dans ce champ, 2° Investing Initiative, un groupe de réflexion international à but non lucratif, a lancé en 2019 un nouveau programme de recherche afin de contribuer à ces réformes ainsi qu’au déploiement de l’investissement responsable en Europe.

Pour y parvenir, nous adoptons une approche pluridisciplinaire, axée sur trois domaines clés :

• Nous effectuons des études de marché visant à développer les connaissances sur les objectifs d’investissement non-financiers des épargnants ;

• Nous menons des recherches sur les ventes abusives de solutions d’épargne et le greenwashing afin de les prévenir au mieux ;

• Nous travaillons au développement de la recherche et d’outils visant à aligner les recommandations des conseillers financiers et les attentes des épargnants.

Dans le cadre de ces travaux, nous avons publié en mars 2020 deux rapports qui examinent de près les préférences des investisseurs de détail et les lacunes du marché. Il ressort ainsi de notre publication « Une grande majorité d’épargnants souhaitent investir de manière responsable », que deux tiers des épargnants français et allemands affirment vouloir placer leur argent dans des investissements responsables. Interrogés plus précisément sur eurs motivations, ces épargnants indiquent à 43 % que leur principal objectif est d’avoir un « impact environnemental » dans l’économie réelle. Les autres objectifs fréquemment cités par les épargnants intéressés par l’investissement responsable sont le retour sur investissement (36 %) et la volonté d’éviter la culpabilité par association (19 %).

De façon remarquable, une importante proportion des épargnants interrogés indiquent par ailleurs qu’ils seraient prêts à accepter un compromis de -5 % sur leur rendement total, pourvu que cela leur permette d’investir de façon responsable.

Ces chiffres sont le résultat de deux études réalisées par 2DII et Splendid Research entre mai et novembre 2019, chacune auprès de 1.000 épargnants français et 1.000 épargnants allemands disposant d’un minimum de 100€ d’épargne mensuel ou 1.000€ d’épargne cumulée.

Dans un second rapport intitulé « EU Retail Funds’ Environmental Impact Claims Do Not Comply with Regulatory Guidance », 2DII montre que l’offre de produits financiers dits « durables » pose elle-même d’importantes questions.

L’analyse réalisée dans ce rapport sur un échantillon de 230 fonds d’investissement européens associés à des thématiques liées à la finance durable montre ainsi que la moitié d’entre eux se prévalent, via leur marketing, d’un impact environnemental positif. Or, la quasi-totalité de ces affirmations apparaissent contestables au regard des principes de protection des consommateurs liés à la précision du contenu et à la robustesse de la preuve scientifique applicables à de telles allégations.

De surcroît, ainsi que le relève notre récent rapport dans le cadre des consultations de la Commission Européenne sur la création d’un Ecolabel pour les produits financiers, tout porte à croire que ce nouveau processus de labellisation contribuera à exacerber ce problème plutôt qu’à le résoudre. Alors que ce mécanisme devrait en principe permettre aux épargnants d’identifier les produits ayant la meilleure performance environnementale , les dispositifs qu’il envisage à ce jour ne permettront pas d’atteindre cet objectif. Ainsi, par exemple, on n’identifie pas, à travers les critères proposés, le fondement méthodologique qui permettrait de mesurer la façon dont les produits ainsi labellisés pourraient réellement répondre à l’exigence d’impact fixée par la réglementation elle-même. L’Ecolabel semble ainsi susceptible de permettre le développement d’allégations non-fondées et potentiellement trompeuses de la part des fournisseurs de solutions d’investissement concernant l’impact environnemental de leurs produits.

Face à ces questionnements, 2DII a appelé les décideurs publics à veiller à ce que les nouvelles réglementations donnent aux consommateurs et au marché les cadres leur permettant de contribuer effectivement à la lutte contre le dérèglement climatique. Pour ce faire, 2DII s’est engagé dans les axes de travail ci-après :

1. Établir un cadre pour évaluer les preuves de « l’impact environnemental » des stratégies d’investissement

2. Développer des méthodologies et cadres opérationnels permettant aux institutions financières de penser, mettre en place et suivre différentes actions visant à contribuer à la baisse des émissions de gaz à effet de serre

3. Élaborer des lignes directrices relatives aux allégations d’’impact environnemental du secteur financier

4. Clarifier les exigences relatives à l’évaluation de la pertinence du conseil en investissement sous l’angle de la « durabilité » et aux obligations d’information concernant le comportement et les politiques de vote des intermédiaires financiers

Si les cadres réglementaires et pratiques du marché ne changent pas de cap, nous pensons que l’essor des investissements « responsables » pourrait ne pas être le grand bouleversement que les citoyens, épargnants et consommateurs sont en droit d’attendre face à l’accélération du dérèglement climatique.

Pablo FELMER ROA, Senior Legal Analyst chez 2° Investing Initiative