La RSE, un facteur de résilience

Le contexte actuel de crise sanitaire remet sur le devant de la scène la question de la résilience des entreprises. La résilience d’une entreprise est sa capacité à anticiper, éviter et/ou s’ajuster à des crises dans son environnement1 ; ces crises peuvent être endogènes, par exemple un problème de fraude interne, ou bien exogènes, tels que les impacts économiques du virus COVID19. La « RSE » - responsabilité sociale de l’entreprise - est la stratégie de gestion des enjeux sociaux et environnementaux de l’entreprise en concertation avec ses parties-prenantes. Dans quelle mesure et par quels moyens la stratégie RSE pourrait-elle contribuer à la capacité de résilience de l’entreprise ? En sciences de gestion, l’hypothèse principale est que la RSE renforce la résilience de l’entreprise, ce qui peut s’expliquer par deux modèles différents.

La RSE comme assurance

L’effet positif de la RSE sur les risques institutionnels et de réputation fait consensus de longue date2 prenant appui sur une conception de la RSE centrée sur les bénéfices d’image3 . Mais la RSE a un spectre d’action bien plus large, avec des effets positifs sur la gestion des risques liés à l’ensemble des parties-prenantes – risques salariaux, risques d’approvisionnement, risques environnementaux, etc4 . L’idée émerge alors que la RSE agirait comme une assurance contre la baisse de la valeur l’entreprise (insurance-like CSR). Godfrey et al. 20095 testent l’hypothèse selon laquelle les investisseurs pénaliseraient moins une entreprise performante en RSE parce qu’ils en auraient une appréciation favorable avant la survenance de l’évènement négatif (effet de halo). En étudiant 178 évènements légaux ou de régulation affectant négativement un échantillon de 160 entreprises cotées américaines de 1993 à 2003, les chercheurs montrent que des activités de RSE institutionnelle permettent d’amoindrir la correction des investisseurs lors de l’annonce d’évènements négatifs. La RSE agit alors comme une assurance contre la perte de valeur de l’entreprise. Les chercheurs notent que cet effet n’est observé que dans le cas de la RSE institutionnelle et pas pour les activités RSE liées aux parties-prenantes primaires (salariés, clients, fournisseurs) qui fonctionnent selon une logique plus transactionnelle qu’assurantielle. Une limite intéressante est mise en évidence par l’étude de Shiu et Yang 20176 qui vérifie la même hypothèse sur un univers comparable tout en montrant que l’effet assurantiel décroît au second évènement négatif, ce qui est logique puisque l’effet de halo a été diminué par le premier évènement négatif.

L’approche assurantielle est efficace mais elle restreint le champ de la RSE à la gestion du coût du droit d’opérer (licence to operate). Or les bénéfices de la RSE en cas de crise pourraient être bien plus larges si on raisonnait dans un modèle patrimonial où la RSE serait conçue et pilotée comme un capital organisationnel.

La RSE comme capital confiance

Dans le champ du management stratégique de la RSE, des théories issues du courant de la RBV (resource based value7) défendent l’idée que la RSE constituerait un actif immatériel : un capital-confiance, un stock de préférences ou bien une capacité d’influence auprès des partiesprenantes (stakeholder influence capacity8). L’hypothèse est que ce capital relationnel avec les parties-prenantes stratégiques de l’entreprise (clients, salariés, financeurs, fournisseurs) permettrait une meilleure résilience face à une crise : capacité de dialogue, climat de confiance mutuelle, relation de longue date seraient des atouts pour amortir les turbulences. Une validation empirique de cette hypothèse est apportée par Ortiz et Bansal 20169 . L’étude porte sur un échantillon de 400 entreprises américaines cotées ayant développé une stratégie RSE (notation MSCI) sur 15 ans (1994- 2008). Comparées à leurs pairs, ces entreprises présentent 3 caractéristiques remarquables sur longue période : moins de volatilité financière, plus de croissance d’activité, meilleur taux de survie. Les chercheurs expliquent ces observations par l’effet de long-terme de la RSE qui permettrait aux entreprises d’être plus robustes dans leurs fondamentaux économiques du fait de la relation de qualité développée avec les parties prenantes stratégiques, donc plus solides financièrement et in fine plus capables de répondre de façon adaptée aux aléas de leur environnement.

Les chercheurs insistent sur la question du temps : la capacité à s’adapter ne se décrète pas dans l’urgence, elle se construit dans le temps et nécessite des relations de qualité avec les parties prenantes ; c’est exactement ce que développe la RSE. On n’est pas ici dans la gestion des risques, qui cartographie et gère des facteurs identifiés. On n’est pas non plus dans une logique classique d’investissement, dans laquelle la rentabilité se calcule à l’aune d’un horizon temporel déterminé dans un cadre identifié. La résilience est une capacité qui se démontre à l’épreuve de faits inattendus arrivant à un moment imprévisible. C’est ce qui justifie l’approche patrimoniale de la RSE : la nature même des crises fait que l’entreprise ne peut baser sa réponse que sur un acquis de longue date, son capital organisationnel, une ressource latente activable au moment critique. Relation de confiance avec les financeurs, autonomie des salariés, capacité d’innovation, toutes ces qualités dans le spectre d’influence de la stratégie RSE nécessitent l’épreuve du temps. C’est un des enjeux du développement durable que de modifier le rapport au temps et à la valeur dans la gestion d’entreprise. Sur ce point, les auteurs testent l’hypothèse d’un arbitrage (tradeoff hypothesis) pour voir si les entreprises résilientes sur le long terme le « paient » de leur rentabilité à courtterme. Le test est négatif, suggérant que les bénéfices à court terme de la RSE (par exemple économies d’énergie, motivation des salariés) permettraient d’en neutraliser les coûts. Une stratégie RSE ne poserait pas de dilemme entre rentabilité à court terme et résilience à long terme, elle concilierait les deux effets.

En conclusion, face à la survenance de « cygnes noirs », les entreprises pourraient bénéficier des effets de résilience procurés par une stratégie RSE implantée de longue date. Si la crise sanitaire actuelle a agi comme un stress test éprouvant les fondamentaux des entreprises, un angle d’analyse a posteriori pourrait être celui de la contribution de leur stratégie RSE à leur capacité de résilience.

Notes :

1/ Ortiz-de-Mandojana, N., & Bansal, P. (2016). The longterm benefits of organizational resilience through sustainable business practices. Strategic Management Journal, 37(8), 1615-1631.

2/ Fombrun C., & Shanley M. (1990). What’s in a name? Reputation building and corporate strategy. Academy of Management Journal 33(2), 233–258 et Campbell, J. L. (2007). Why would corporations behave in socially responsible ways? An institutional theory of corporate social responsibility. Academy of management Review, 32(3), 946-967

3/ Friedman, M. (1970). The social responsibility of business is to increase its profits. New York Times Magazine Sept. 13, 32–33.

4/ Pour une synthèse récente : Grewatsch, S., & Kleindienst, I. (2017). When does it pay to be good? Moderators and mediators in the corporate sustainability–corporate financial performance relationship: A critical review. Journal of Business Ethics, 145(2), 383-416.

5/ Godfrey, P. C., Merrill, C. B., & Hansen, J. M. (2009). The relationship between corporate social responsibility and shareholder value: An empirical test of the risk management hypothesis. Strategic management journal, 30(4), 425-445.

6/ Shiu, Y. M., & Yang, S. L. (2017). Does engagement in corporate social responsibility provide strategic insurance like effects?. Strategic Management Journal, 38(2), 455-470.

7/ Barney, J. 1991. Firm resources and sustained competitive advantage. Journal of Management 17(1): 771–792.

8/ Barnett, M. L. (2007). Stakeholder influence capacity and the variability of financial returns to corporate social responsibility. Academy of Management Review, 32(3), 794–816

9/ op. cit.

Aline ESPINASSOUZE, Docteure en sciences de gestion de l’université de Cergy-Pontoise, enseignante et entrepreneur social